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Obermann.

d’Obermann. Si parfois l’artiste a le droit de regretter le mélange contraint et gêné des images sensibles, symboles vivans de la pensée, et des idées abstraites, résumés inanimés de l’étude solitaire, le psychologiste plonge un regard curieux et avide sur ces taches d’une belle œuvre, et s’en empare avec la cruelle satisfaction du chirurgien qui interroge et surprend le siège du mal dans les entrailles palpitantes et les organes hypertrophiés. Son rôle est d’apprendre et non de juger. Il constate et ne discute pas. Il grossit son trésor d’observations de la découverte des cas extraordinaires. Pour lui, il s’agit de connaître la maladie, plus tard il cherchera le remède. Peut-être la race humaine en trouvera-t-elle pour ses souffrances morales, quand elle les aura approfondies et analysées comme ses souffrances physiques.

Indépendamment de ce mérite d’utilité générale, le livre d’Obermann en possède un très littéraire, c’est la nouveauté et l’étrangeté du sujet. La naïve tristesse des facultés qui s’avouent incomplètes, la touchante et noble révélation d’une impuissance qui devient sereine et résignée, n’ont pu jaillir que d’une intelligence élevée, que d’une âme d’élite : la majorité des lecteurs s’est tournée vers l’ambition des rôles plus séduisans de Faust, de Werther, de René, de Saint-Preux.

Mystérieux, rêveur, incertain, tristement railleur, peureux par irrésolution, amer par vertu, Obermann a peut-être une parenté éloignée avec Hamlet, ce type embrouillé, mais profond de la faiblesse humaine, si complet dans son avortement, si logique dans son inconséquence. Mais la distance des temps, les métamorphoses de la société, la différence des conditions et des devoirs, font d’Obermann une individualité nette, une image dont les traits bien arrêtés n’ont de modèle et de copie nulle part. Moins puissante que belle et vraie, moins flatteuse qu’utile et sage, cette austère leçon donnée à la faiblesse impatiente et chagrine devait être acceptée d’un très petit nombre d’intelligences dans une époque toute d’ambition et d’activité. Obermann, sentant son incapacité à prendre un rôle sur cette scène pleine et agitée, se retirant sur les Alpes pour gémir seul au sein de la nature, cherchant un coin de sol inculte et vierge pour y souffrir sans témoin et sans bruit ; puis bornant enfin son ambition à s’étendre et à mourir là, oublié,