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PHILIPPE DE MORVEL.

farines. Des chansons et des quolibets populaires, se joignant aux intrigues de la cour, ruinèrent auprès du roi le crédit d’un homme de bien, dont le seul tort était d’avoir une foi trop vive dans la puissance de la raison. Le renvoi de Turgot fit passer les finances, qu’il administrait, entre les mains d’un homme versé dans toutes les pratiques de la fiscalité, habile à inventer de nouveaux expédiens, mais brouillon et dissipateur. En quelques mois, le déficit du trésor s’accrut d’une manière si effrayante, que le roi prit le parti de rentrer dans la voie des innovations, de s’en rapporter à l’opinion publique pour le choix d’un ministre des finances.

M. Necker, envoyé de la république de Genève, jouissait alors de la double réputation de politique à haute vue et de financier consommé ; il la devait à ses écrits sur le commerce et à son immense fortune, acquise dans des spéculations de banque. Sous le ministère de Turgot, il avait publié, contre la libre exportation des blés, une brochure qui eut beaucoup de succès et qui contribua, du moins on peut le croire, à la chute du ministre. Entre les philosophes, dont l’habileté en affaires était devenue suspecte, et les praticiens, dont la routine venait d’être convaincue d’impuissance, M. Necker s’offrait comme un moyen terme : il était l’homme de la circonstance : il fut choisi. Son adjonction au ministre, avec le titre de directeur-général du trésor, fut accueillie comme une bonne nouvelle dans toutes les places de commerce du continent, car les capitalistes prévoyaient que le nouveau ministre ferait des emprunts, et tâcherait de relever les finances par le crédit public. Genève, la ville des capitaux et la patrie de M. Necker, vit dans son élévation un juste motif d’orgueil pour elle, et une nouvelle source de prospérité. Les citoyens de cette république, si riche sans territoire, se saluaient dans les rues par ces mots : « Savez-vous la nouvelle ? », et se serraient la main d’une manière toute cordiale.

La possibilité de s’assurer d’avance une part avantageuse dans les opérations financières du nouveau ministre, était un grand point pour les capitalistes génevois. Ils résolurent de faire une tentative à cet égard, et invitèrent l’un d’entre eux, homme d’une grande réputation commerciale, et de plus ami d’enfance de M. Necker, à se rendre auprès de lui, pour le féliciter, lui faire des offres de coopération, et lui demander la préférence en faveur