Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/706

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
700
REVUE DES DEUX MONDES.

— Ma chère nièce, dit-il, votre père a donc oublié de vous faire part de la découverte que nous avons faite du véritable nom, de l’ancien nom de notre famille ; nous sommes très certainement originaires d’Italie, comme le prouve du reste un livre fort curieux dont j’ai su autrefois le titre.

— Jamais mon père ne m’a rien dit de cela, répondit la jeune fille d’un air calme ; jamais je ne l’ai vu retrancher ni ajouter aucune lettre à son nom.

Cette réplique était décisive. Le tuteur eut un moment de dépit, suivi de découragement. Il ne songeait plus qu’à faire contre fortune bon cœur, et à s’abandonner à toutes les chances de l’avenir, lorsque tout d’un coup se ravisant par une sorte d’inspiration : — Sophie, dit-il, est-ce qu’il n’y avait pas à Berne quelque autre personne du nom d’Aubert ?

— Si vraiment, il y avait un Français que nous connaissions beaucoup ; pour ne pas confondre les deux familles ; on avait coutume d’appeler mon père M. Aubert de Risthal, à cause de notre château sur les bords de l’Aar, qui est bien situé, je vous assure : d’un côté, la rivière large et rapide, de l’autre…

— Eh bien ! ma chère nièce, reprit l’oncle en l’interrompant, tu me disais que mon pauvre frère prenait le nom d’Aubert de Risthal ?

— Oui, sans doute, tout le monde le lui donnait ; et qui plus est, dans ma pension, mes compagnes m’appelaient Risthal tout court. Elles trouvaient ce nom plus commode à prononcer, car toutes parlaient allemand ; et j’y suis si habituée que si on me le donnait encore, j’y répondrais comme en pension. Ah ! j’ai passé là de beaux jours ! quel plaisir, quand mon père venait me voir le jeudi, après l’heure de la bourse, et quand il m’envoyait chercher le dimanche pour me conduire à la campagne ! Dieu m’a bien éprouvée par une perte aussi cruelle !

— Allons, Sophie, ma chère nièce, calme-toi, embrasse celui qui est maintenant ton père ; et puisque ce nom de pensionnaire te rappelle de si bons souvenirs, garde-le, mon enfant : je ne t’en donne plus d’autre. Dorénavant je t’appelle, et je veux qu’on t’appelle Sophie de Risthal.

Six ans s’étaient écoulés depuis que cette petite scène de senti-