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C’est à cette intention que nous devons demander compte d’elle-même. Et d’abord quelle est-elle ? que signifie le système de rénovation proposé par M. Ingres ? Est-ce une méthode originale et personnelle, ou bien un ressouvenir du passé ? Est-ce une voie inconnue jusqu’ici, ou bien une voie couverte de ruines et de décombres, et qu’il a déblayée ! En la suivant, la peinture française est-elle assurée d’un avenir glorieux, ou bien ne doit-elle trouver au bout de ce courageux pèlerinage qu’une cité morte, des autels sans prêtres, des temples muets, des symboles dont le sens est aujourd’hui perdu ?

Je me livre bien volontiers, pieds et poings liés, aux railleries des parleurs. Je consens à subir toutes les accusations de pédantisme et d’ergoterie qu’il pourra plaire à ces messieurs de diriger contre moi. Comme depuis long-temps je suis habitué à ne pas voir dans la critique un délassement littéraire, une palœstre phraséologique, une logomachie de rhéteur ; comme je préfère de beaucoup une idée simplement vêtue aux fastueuses coquetteries d’une période sonore et vide, j’accepterai sans colère et sans chagrin toutes les récriminations que je soulève. Je n’attache pas grande importance à m’entendre appeler professeur d’esthétique ; car en parlant de peinture, selon ma pensée, en remontant de l’œuvre à l’artiste, je n’entends pas apprendre au lecteur les prouesses acrobatiques ou les parades militaires de trois épithètes acharnées sur un mot qu’elles étouffent.

Je dois donc le dire en toute sécurité, la rénovation tentée par M. Ingres, me semble contraire aux lois de la saine logique. Il a fait et fera sans doute encore d’admirables ouvrages. Mais il a contre lui, contre l’avenir et la fécondité de sa méthode, l’histoire tout entière, qui défend de recommencer le passé. Il aurait tort de prendre la peinture à la mort de Raphaël, puisque l’école romaine n’était pas le dernier mot du génie humain, et que l’auteur des loges a trouvé dans les maîtres de Venise, de Bruxelles, d’Amsterdam et de Madrid des rivaux et des héritiers dignes de lui. Il aurait tort d’oublier volontairement les deux siècles révolus qui ont mis au rang des demi-dieux l’amant de la Fornarina. Paul Véronèse, Rubens et Rembrandt ont trouvé et montré des ressources nouvelles ignorées de l’ami de Jules ii. Chercher personnellement les procédés con-