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FÊTES DE LA JURA.

son manteau à la lête du taureau. À cet affront l’animal s’élança. Au même moment, Artaiz, qui avait le bras levé, lui enfonça son rejoncillo entre les yeux, jusqu’au cerveau, avec une telle adresse et une telle force, qu’il le tua du coup et le fit rouler mort aux pieds de son cheval.

À cette éclatante victoire, ce fut par toute l’enceinte un tonnerre d’applaudissemens et de viva, qui dut s’entendre jusqu’au fond des quartiers les plus reculés de la ville. Tous les balcons se pavoisèrent de mouchoirs flottans. C’était un beau triomphe, je vous assure ; c’était une belle récompense que cette seule et immense voix de soixante mille spectateurs ! Il n’y a guère de lices où l’on décerne au vainqueur une pareille acclamation.


Ce septième taureau une fois emporté par les mules, sur un signe du roi, l’alguazil mayor, ayant communiqué aux deux caballeros en plaza restés sains et saufs l’ordre que sa majesté leur donnait de se retirer, les accompagna hors de la place ; puis y rentra aussitôt, introduisant les picadors à la grande lance, les picadors cuirassés et bardés de fer.

L’arène était restituée à ses maîtres ordinaires. Les toreros de profession reparaissaient sur le premier plan. Après un entracte de quelques minutes qui suffirent aux banderilleros, aux chulos et aux matadors pour se disposer en ordre de bataille, l’action fut reprise avec les armes habituelles ; le sang recommença à couler.

Si cette seconde partie de la course offrit moins d’incidens inaccoutumés que la première, elle ne lui céda rien en carnage. Les taureaux qui se ruaient successivement dans la place, étaient plus terribles et plus furieux les uns que les autres. C’était aussi parmi les toreros à pied et à cheval à qui se surpasserait en courage et en témérité. Les picadors s’avançaient follement, seuls et sans chulos, jusqu’au milieu de l’arène. Les banderilleros posaient leurs banderillas en croisant les bras, au-dessus des cornes du taureau. Il n’y avait presque pas un matador qui ne voulût achever le sien d’une estocade. Chevaux et taureaux aussi, combien tombaient blessés, mourans ou morts ! Qui aurait pu compter le nombre des victimes ? On tua jusqu’à la nuit. Elle était sombre déjà, et pourtant un taureau luttait encore vaillamment contre l’armée entière des tore-