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alors pour maintenir la dignité de la littérature, et dans ce nombre, on distingue Warburton ; chez lui, le savoir embellissait les dons de la nature et ne les étouffait pas. Johnson, dans ses Vies des poètes (Lives of the poets), fit preuve d’un talent prodigieux ; là se trouve ce que peut-être personne avant lui n’avait encore offert au même degré, une connaissance approfondie de la vie humaine, une extrême finesse dans la peinture des caractères, et un tact parfait pour montrer les défauts d’un ouvrage ; et tout cela rendu dans un style à la fois mâle et plein de douceur, où chaque mot porte une pensée, où chaque phrase fait naître une foule de réflexions. Hume, Robertson, Gibbon, s’emparent du domaine de l’histoire ; il y a de l’art et une élégance calculée dans la disposition de leur plan, de la philosophie dans leur manière de raconter les troubles civils, la monotone série de ces rois succédant à d’autres rois, le pénible détail de ces couronnes disputées, de toutes ces guerres intérieures. Hume, avec son style simple et vigoureux, sans affectation, retrace les déchiremens de l’Angleterre depuis Jules César jusqu’à la révolution qui entraîna une vieille dynastie. Il fait l’histoire de la constitution, l’histoire du peuple, de ses libertés, et des vicissitudes qu’elles ont subies.

Robertson, à travers le travail visible de ses longues et harmonieuses périodes, montre une grande connaissance de son sujet, une grande habileté dans la manière de le mettre en œuvre. Pour la clarté des descriptions, pour la peinture des caractères et des évènemens, il est peut-être sans égal, ou s’il en a un, c’est Gibbon.

La décadence et la chute de l’empire romain (The Decline and Fall of the Roman Empire) est, sans doute, la plus magnifique histoire que l’on ait jamais produite. C’était le sujet le plus grand qu’un écrivain pût choisir, et Gibbon l’a traité en maître. Il est profondément instruit,

    est leur contemporain ; Walpole, dont les lettres l’emportent en élégance, en finesse, en variété, sur celles de mistriss Montagu, et peut-être sur celles de Voltaire, pour l’intérêt des matières et les détails de mœurs, vieillissait, pendant que Burke brillait au parlement. Samuel Johnson, dont l’auteur fait un si grand éloge, nous semble mériter cette admiration, quant au mécanisme matériel du style et à l’étendue des connaissances ; mais il n’avait aucun sentiment de la poésie, et dans ses Vies des poètes, toutes ses appréciations, tous ses éloges sont vulgaires et prosaïques. Ce qui nous étonne surtout, c’est que M. Allan Cunningham ait oublié ici de mentionner Junius, le type le plus sévère, le plus mâle, de la prose anglaise, l’écrivain national par excellence, l’homme de l’ironie froide et inexorable, le Tacite de la polémique, le plus parfait, d’ailleurs, de tous les écrivains en prose que l’Angleterre ait produits.