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là, je poussai un ah ! prolongé, qui tenait autant du besoin de respirer que de la joie que je pouvais avoir de me trouver sur une plate-forme ; puis l’amour-propre me revenant du moment où le danger s’était éloigné, je tins à prouver à Payot que si je grimpais mal, je sautais bien, et d’un air dégagé, sans rien dire à personne, et afin de jouir de l’effet que produirait sur lui mon agilité, je sautai du rocher sur le sable.

Nous poussâmes deux cris qui n’en firent qu’un, lui, parce qu’il me voyait enfoncer, et moi, parce que je me sentais enfoncer. Cependant, comme je n’avais pas lâché mon bâton, je le mis en travers, ainsi que cela m’était arrivé en pareille circonstance avec mon fusil, en chassant au marais. Ce mouvement instinctif me sauva ; Payot eut le temps de me tendre son bâton, que j’empoignais d’une main, puis de l’autre ; et me tirant comme un poisson au bout d’une ligne, il me réintégra sur mon rocher.

Lorsque je me retrouvai sur mes pieds : — Ah ! ça, êtes-vous fou ? me dit Payot, vous allez sauter dans les moraines, vous !

— Eh ! sacredieu ! allez-vous-en au diable, vous et votre brigand de pays, où l’on ne peut faire un pas sans risquer de se casser le cou, ou de s’ensabler : est-ce que je connais vos moraines, moi ?

— Eh bien ! une autre fois vous les connaîtrez, me dit tranquillement Payot ; seulement je suis bien aise de vous dire que si vous n’aviez pas mis votre bâton en travers, vous vous enfonciez sous le glacier, d’où vous ne seriez probablement sorti que l’été prochain, par la source de l’Arveyron. Maintenant voulez-vous venir au Jardin ?

— Qu’est-ce que le Jardin ?

— C’est une petite langue de terre végétale, en forme de triangle, qui se trouve au milieu du glacier de Talefre, et de l’autre côté de la Mer de glace.

— Et que fait-on là ?

— Rien au monde.

— Pourquoi y va-t-on alors ?

— Pour dire qu’on y a été.

— Eh bien ! mon cher ami, je ne le dirai pas, voilà tout.