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DE LA CHINE.

de la Chine, allant, comme en pélerinage, visiter tous les lieux consacrés dans ces divers pays par des légendes bouddhiques, voyageant de temple en temple, de monastère en monastère, recueillant toutes les traditions qui concernent leur croyance, et en faisant la statistique, comme quelques siècles plus tard Benjamin de Tudèle fit celle du judaïsme. Malheureusement leur récit est aussi sec que le sien, et comme lui ne voit partout que des juifs, eux ne cherchent en tout pays que des sectateurs de la doctrine de Fo. Cependant il est impossible qu’ils ne rencontrent pas par hasard et ne recueillent, comme à leur insu, des renseignemens très instructifs sur les pays qu’ils traversent, et dont pour la plupart on ne sait absolument rien à cette époque : ce sont eux qui ont appris, par exemple, l’existence du royaume du Pot-d’Or, fondé dans le nord de la Perse par des Goths bouddhistes. Un seul fait de cette nature compense bien des lacunes. En ce qui concerne l’histoire du bouddhisme, histoire dont on a pu entrevoir l’intérêt, c’est un document capital. La traduction du premier de ces voyages est achevée et paraîtra bientôt. M. Klaproth compte traduire les autres. Malheureusement le commentaire dont M. Rémusat accompagnait sa traduction n’en dépasse pas la moitié, commentaire plus précieux peut-être que le texte ; il avait été tiré tout entier des auteurs chinois, où le savant traducteur avait pu découvrir quelques éclaircissemens sur les objets dont parlent les auteurs de la relation. Ce qui manque à ce commentaire, pour être achevé, doit inspirer les plus vifs regrets. Là eussent trouvé leur place les résultats des lectures et des réflexions de M. Rémusat, dirigées principalement, depuis plusieurs années, sur l’histoire du bouddhisme. Il est cruel de penser qu’avec lui ont péri tant de recherches et d’idées dont il ne reste rien. Quand les mêmes lectures seront-elles faites par un homme d’un esprit supérieur comme le sien ? C’est ce sentiment surtout qui a fait prendre la plume à l’auteur de cette notice. En voyant tout ce que la véritable érudition perdait en M. Rémusat, j’ai éprouvé le besoin de dire ce qu’il avait fait pour elle, et ce qu’il aurait fait sans la mort qui l’a frappé à quarante-deux ans ; en consacrant à exposer le résultat de ses principales découvertes quelques notions puisées dans son enseignement, j’ai cru remplir un devoir envers lui.


J.-J. Ampère.