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ouvrages ne l’empêchèrent pas de tomber dans la détresse et de mourir pauvre. C’était un homme aimable et modeste[1].


Lord Byron. — Le génie sceptique, amer, sarcastique de notre époque, a trouvé son poète, George Gordon, lord Byron. La nature l’avait doué des qualités les plus hautes : d’une imagination sans limites, d’une intelligence élevée, d’une puissance d’attention persévérante, d’une énergie passionnée et d’une sensibilité vive, en un mot, de tout ce qui prépare un grand poète. Comment s’est-il fait qu’une partie de ces dons se soient flétris et anéantis ? c’est ce que jamais on ne découvrira peut-être[2].

    d’un talent faible, de l’habileté vulgaire qui recoud une rime et polit un chant ; sans imagination, sans énergie, sans connaissance du monde, sans connaissance des hommes, et privé même de cette sensibilité passionnée et intelligente qui peut suppléer à tout, il reçut d’absurdes éloges de quelques grandes dames et de quelques critiques niais. Ces messieurs et ces dames ne s’étonnaient que d’une chose : un cordonnier poète ! Cette alliance les enchantait. — On voulut avoir un nouveau Burns ; comme s’il était bien merveilleux qu’un homme qui sait lire, et qui a eu entre les mains une prosodie et deux ou trois Almanachs des Muses, essaie de scander ses vers, de rimer des strophes, et parvienne à ce degré d’habileté mécanique. Après avoir encouragé Bloomfield et l’avoir gonflé d’une vanité fatale, ses protecteurs s’aperçurent que dans toute sa poésie il n’y avait rien, si ce n’est des idées vulgaires, des détails vulgaires, peu de prétention, il est vrai ; de la mélodie, quelques parties adroitement traitées, mais aussi nulle force, nulle originalité. Bloomfield avait délaissé son état et ses pratiques. Ses protecteurs se dégoûtèrent de leur patronage ; il mourut très jeune et très malheureux.

  1. Bloomfield et Byron ne se ressemblent que sous un rapport : tous deux vivaient en 1800. Ils occupent les deux extrémités de l’échelle littéraire. Une bienveillance indulgente, et le plan de ces biographies, qui devaient se succéder sans autre ordre que celui des temps, ont seuls pu engager l’auteur à placer ces deux noms côte à côte.
  2. Les idées mélancoliques, l’anathème sur les institutions, le dégoût de la vie sociale, avaient déjà trouvé des interprètes très puissans. Rousseau, Young, Gœthe, Godwin, Junius, Burns, avaient lancé vers le ciel plus d’un cri de désespoir. Byron naquit et grandit dans une situation fausse ; son enfance fut contemporaine de la révolution française ; il avait un titre sans fortune, une beauté remarquable et une infirmité naturelle, un rang dénué de tout ce qu’il fallait pour le soutenir, un beau nom souillé déjà par des crimes et des folies, un orgueil immense environné d’obstacles, un ardent désir de gloire et peu de ressources pour l’obtenir, une intelligence active et une éducation négligée. Il dépendait de