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Il est probable que Dapper a tiré de son imagination toute cette histoire. Il écrivait trop et trop vite, pour faire beaucoup de recherches ; c’était un de ces intrépides compilateurs dont j’ai parlé plus haut. S’il eût pris seulement la peine de consulter le livre de Bontier, imprimé en 1630, c’est-à-dire moins de quarante ans seulement avant le sien, il aurait vu que la précaution de cacher un seul arbre eût été superflue, puisqu’alors il y en avait beaucoup d’autres qui fournissaient également de l’eau. Voici, en effet, ce que dit le bon chapelain au chapitre 65 : « Si parlerons premièrement de l’isle de Fer, qui est une des plus lointaines ; c’est une moult belle isle… et est le pays haut et assez plain, garni de grands bocages de pins et de lauriers, portans meures si grosses et si longues que merveilles… et au plus haut du pays, sont arbres qui toujours dégouttent eau belle et clère, qui chet en fosse auprès des arbres, la meilleure pour boire que l’on sçaurait trouver ; et est icelle eau de telle condition que, quand on a tant mengé que on ne peut plus, et on boit d’icelle eau, ainchois qu’il soit une heure, la viande est toute digérée tant, qu’on a aussi grand voulenté de menger qu’on avait auparavant qu’on avait mengé. »

On pourrait croire, d’après quelques mots de Solin, que cet auteur a voulu parler de l’eau qui « au plus hault du pays choit en fosse au pied des arbres, » s’il n’était évident qu’il ne fait, dans tout ce chapitre, que suivre Pline pas à pas, en changeant seulement les mots, et souvent aux dépens du sens. Bontier est au reste, je crois, le seul écrivain qui ait parlé des tils des montagnes comme donnant également de l’eau. Aussi l’éditeur de son livre a-t-il soin de prémunir le lecteur contre cette erreur prétendue et d’avertir en marge qu’il n’existe qu’un seul arbre doué de cette propriété.

La sentence portée par Bacon paraissait être sans appel ; et, pendant près de deux siècles, il n’y eut plus à s’occuper de l’arbre saint que quelques Canariens, pour qui c’était en quelque sorte une affaire d’amour-propre national. Presque tous, si l’on en excepte Viera, mirent dans leur défense plus de zèle que d’habileté ; Viera lui-même laisse beaucoup à désirer, et M. Bory de Saint-Vincent est en effet le premier écrivain qui ait traité convenablement cette question.

« Il est de l’arbre a dit M. Bory, comme de beaucoup d’au-