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arriva un jour de pousser avec ses dragons une reconnaissance jusqu’à Lorca, ville frontière du royaume de Murcie. Dans cette petite expédition, on rencontra une guérilla de cinquante hommes environ, qui fut aussitôt dissipée à coups de fusils. Au retour de cette course, le général écrivit cette dépêche : « Découvrir l’ennemi en force, l’attaquer, le mettre en déroute, fut une même chose. Le champ de bataille est jonché de morts, le pays frappé de terreur se soumet à l’autorité légitime du roi don Joseph Napoléon ; j’aurai eu l’inexprimable bonheur d’avoir ouvert la carrière, et préparé la conquête du royaume de Murcie que je demande à être autorisé d’entreprendre. » Malheureusement le maréchal Soult n’approuva pas ce plan, il eut même le mauvais esprit de ne pas croire aux morts qui jonchaient le champ de bataille ; mais on ne décerna pas moins, à table, dans l’Alhambra, le titre de duc de Murcie au général Sébastiani, et M. de Bouillé s’écria que l’empereur ne pouvait le refuser à son Excellence. Un seul officier, M. de Saint-Aubin, homme sourd et brusque, arrêta tout cet enthousiasme, en disant que l’empereur n’aimait pas qu’on lui forçât la main pour ces sortes de choses, et il pria M. de Bouillé de se souvenir de la manière dont il avait été reçu quand il avait demandé à Napoléon le droit de prendre le titre de comte de Bar, ville où un de ses ancêtres s’était distingué. – « C’est bien dommage qu’il ne vous l’ait pas accordé, dit en riant M. de Saint-Aubin, vous eussiez été Bar-Bouillé ; » et, par cette saillie, il mit fin à cet hymne de flatteries et d’espérances qui sonnait si agréablement à l’oreille de son général.

La restauration trouva donc M. Sébastiani simple comte de l’empire, et le dédommagea assez maigrement de cette disgrace en le nommant chevalier de Saint-Louis. Aussi M. Sébastiani se montra-t-il peu empressé de rappeler les Bourbons après la déchéance de Napoléon. À leur retour, il se retira pendant quelque temps en Angleterre, et ne reparut sur la scène politique que dans l’année 1819, où M. Decazes, ministre alors, le choisit pour présider le collège électoral de la Corse, et le désigna à ses compatriotes comme possédant toute sa pensée. M. Sébastiani fut élu député, et il alla siéger sur les bancs de l’extrême gauche, ce qui n’étonna pas moins l’extrême gauche que le ministre.