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LEONE LEONI.

nos propres yeux. Il nous parla de travaux d’orfèvrerie qu’il avait eu l’occasion de voir dans ses voyages, et nous vanta surtout les œuvres de son compatriote Cellini, qu’il plaça près de Michel-Ange. Enfin il attribua tant de mérite à la profession de mon père, et donna tant d’éloges à son talent, que je me demandais presque si j’étais la fille d’un ouvrier laborieux ou d’un homme de génie.

Mon père accepta cette dernière hypothèse, et, charmé des manières du Vénitien, il le conduisit enfin chez ma mère. Durant cette visite, Leoni eut tant d’esprit et parla sur toutes choses d’une manière si supérieure, que je restai fascinée en l’écoutant. Jamais je n’avais conçu l’idée d’un homme semblable. Ceux qu’on m’avait désignés comme les plus aimables étaient si insignifians et si nuls auprès de celui-là, que je croyais faire un rêve. J’étais trop ignorante pour apprécier tout ce que Leoni possédait de savoir et d’éloquence, mais je le comprenais instinctivement. J’étais dominée par son regard, enchaînée à ses récits, surprise et charmée à chaque nouvelle ressource qu’il déployait.

Il est certain que Leoni est un homme doué de facultés extraordinaires. En peu de jours, il réussit à exciter dans la ville un engouement général. Vous savez qu’il a tous les talens, toutes les séductions. S’il assistait à un concert, après s’être fait un peu prier, il chantait ou jouait tous les instrumens avec une supériorité marquée sur les musiciens. S’il consentait à passer une soirée d’intimité, il faisait des dessins charmans sur les album des femmes. Il crayonnait en un instant des portraits pleins de grâce ou des caricatures pleines de verve ; il improvisait ou déclamait dans toutes les langues ; il savait toutes les danses de caractère de l’Europe, et il les dansait toutes avec une grâce enchanteresse ; il avait tout vu, tout retenu, tout jugé, tout compris ; il savait tout ; il lisait dans l’univers comme dans un livre de poche. Il jouait admirablement la tragédie et la comédie, il organisait des troupes d’amateurs ; il était lui-même le chef d’orchestre, le premier sujet, le décorateur, le peintre et le machiniste. Il était à la tête de toutes les parties et de toutes les fêtes. On pouvait vraiment dire que le plaisir marchait sur ses traces, et que tout, à son approche, changeait d’aspect et prenait une face nouvelle. On l’écoutait avec enthousiasme, on lui obéissait aveuglément ; on croyait en lui comme