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LEONE LEONI.

— Je t’aime de toutes les forces de mon ame, m’écriai-je en pleurant ; que faut-il faire pour te sauver ?

— Ah ! tu n’y consentiras pas ! reprit-il avec abattement. Je suis le plus malheureux des hommes ; tu es la seule femme que j’aie jamais aimée, Juliette ; et au moment de te posséder, mon ame, ma vie, je te perds à jamais !… Il faudra que je meure.

— Mon Dieu, mon Dieu ! m’écriai-je, ne pouvez-vous parler, ne pouvez-vous dire ce que vous attendez de moi ?

— Non, je ne puis parler, répondit-il ; un affreux secret, un mystère épouvantable pèse sur ma vie entière, et je ne pourrai jamais te le révéler. Pour m’aimer, pour me suivre, pour me consoler, il faudrait être plus qu’une femme, plus qu’un ange peut-être !…

— Pour t’aimer ! pour te suivre ! lui dis-je. Dans quelques jours ne serai-je pas ta femme ? Tu n’auras qu’un mot à dire, et quelle que soit ma douleur et celle de mes parens, je te suivrai au bout du monde, si tu le veux.

— Est-ce vrai, ô ma Juliette ? s’écria-t-il avec un transport de joie ; tu me suivras ! tu quitteras tout pour moi !… Eh bien ! si tu m’aimes à ce point, je suis sauvé ; partons, partons tout de suite…

— Quoi ! y pensez-vous, Leoni ? Sommes-nous mariés ? lui dis-je.

— Nous ne pouvons pas nous marier, répondit-il d’une voix forte et brève.

Je restai attérée. — Et si tu ne veux pas m’aimer, si tu ne veux pas fuir avec moi, continua-t-il, je n’ai plus qu’un parti à prendre : c’est de me tuer.

Il prononça ces mots d’un ton si résolu, que je frissonnai de la tête aux pieds. — Mais que nous arrive-t-il donc ? lui dis-je ; est-ce un rêve ? Qui peut nous empêcher de nous marier, quand tout est décidé, quand vous avez la parole de mon père ?

— Un mot de l’homme qui est amoureux de vous et qui veut vous empêcher d’être à moi.

— Je le hais et je le méprise, m’écriai-je. Où est-il ? Je veux lui faire sentir la honte d’une si lâche poursuite et d’une si odieuse vengeance… Mais que peut-il contre toi, Leoni ? n’es-tu pas tellement au-dessus de ses attaques, qu’un mot de toi ne le réduise en poussière ? Ta vertu et ta force ne sont-elles pas inébranlables, et