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LEONE LEONI.

Leoni m’y porta, m’enveloppa dans un vaste manteau fourré, m’enfonça un bonnet de voyage sur la tête, et en un clin d’œil la maison illuminée de M. Delpech, la rue et la ville disparurent derrière nous.

Nous courûmes vingt-quatre heures sans faire un mouvement pour sortir de la voiture. À chaque relais Leoni soulevait un peu le châssis, passait le bras en dehors, jetait aux postillons le quadruple de leur salaire, retirait précipitamment son bras et refermait la jalousie. Je ne pensais guère à me plaindre de la fatigue ou de la faim. J’avais les dents serrées, les nerfs contractés. Je ne pouvais verser une larme ni dire un mot. Leoni semblait plus occupé de la crainte d’être poursuivi que de ma souffrance et de ma douleur. Nous nous arrêtâmes auprès d’un château, à peu de distance de la route. Nous sonnâmes à la porte d’un jardin. Un domestique vint après s’être fait long-temps attendre. Il était deux heures du matin. Il arriva enfin en grondant, et approcha sa lanterne du visage de Leoni ; à peine l’eut-il reconnu qu’il se confondit en excuses, et nous conduisit à l’habitation. Elle me sembla déserte et mal tenue. Néanmoins on m’ouvrit une chambre assez convenable. En un instant on alluma du feu, on me prépara un lit, et une femme vint pour me déshabiller. Je tombai dans une sorte d’imbécillité. La chaleur du foyer me ranima un peu, et je m’aperçus que j’étais en robe de nuit et les cheveux épars auprès de Leoni, mais il n’y faisait pas attention. Il était occupé à serrer dans un coffre le riche costume, les perles et les diamans dont nous étions encore couverts un instant auparavant. Ces joyaux dont Leoni était paré appartenaient pour la plupart à mon père. Ma mère, voulant que la richesse de son costume ne fût pas au-dessous du nôtre, les avait tirés de la boutique et les lui avait prêtés sans rien dire. Quand je vis toutes ces richesses entassées dans un coffre, j’eus une honte mortelle de l’espèce de vol que nous avions commis, et je remerciai Leoni de ce qu’il pensait à les renvoyer à mon père. Je ne sais ce qu’il me répondit ; il me dit ensuite que j’avais quatre heures à dormir, qu’il me suppliait d’en profiter sans inquiétude et sans douleur. Il baisa mes pieds nus et se retira. Je n’eus jamais le courage d’aller jusqu’à mon lit. Je m’endormis auprès du feu sur mon fauteuil. À six heures du matin on vint m’éveiller, on m’apporta du