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LITTÉRATURE ET PHILOSOPHIE MÊLÉES.

Après avoir blâmé si sévèrement les silhouettes de Bossuet, l’auteur devait s’attendre à être jugé sans indulgence. Aussi n’a-t-il pas dû s’étonner des remontrances de la critique ; c’était justice et bonne foi de confronter d’année en année le poète avec le législateur ; c’était justice de dire à celui qui avait blâmé les timidités de Racine et les travestissemens philosophiques de Voltaire : Vous n’avez pas plus qu’eux la vérité relative, et souvent vous avez de moins la vérité absolue.

Modifier les types tragiques de Sophocle et d’Euripide, altérer pour les plaisirs de Trianon le caractère d’Iphigénie et d’Oreste, mettre dans la bouche d’un Arabe du viie siècle les pensées de d’Alembert et d’Helvétius, était-ce donc une faute plus grande que de choisir dans la chronique européenne des noms gravés en traits ineffaçables et profonds pour les démonétiser au théâtre ? Les âges héroïques de la Grèce n’offrent-ils pas à la fantaisie du poète une carrière plus large et plus libre que les générations auxquelles nous touchons de si près ? Et s’il est vrai, comme je ne veux pas le nier, que Voltaire, en faisant de la poésie un organe assidu de ses pensées philosophiques, ait méconnu une des lois primordiales de l’imagination, celle qui lui commande de se suffire à elle-même, n’est-il pas également vrai que M. Hugo n’est pas moins coupable que Voltaire lorsqu’il fait d’Olivier Cromwell un bouffon fanatique, de Charles-Quint un coureur d’aventures, de Richelieu un tigre altéré de sang, de François v un héros de taverne, de la fille d’Alexandre vi une mère pieuse et dévouée, et enfin de Marie, fille de Henri viii, austère et bigote personne, une libertine effrontée ? Il ne faut pas avoir usé ses yeux dans de longues veilles pour connaître le sens et la valeur de ces noms. Il ne faut pas l’érudition patiente de Sismondi ou de Heeren pour savoir que Charles-Quint a été de bonne heure grave et rusé, et qu’il a pu tout au plus faire de la débauche une distraction de quelques heures ; mais qu’il n’était pas homme à oublier l’empire, fût-ce même une seule nuit, pour les yeux de la femme la plus belle. S’il est arrivé à Cromwell de jouer les têtes-rondes avec son jargon biblique, ce n’est là tout au plus qu’un épisode de la grande épopée à laquelle il a mis la main, et je doute fort qu’il ait eu le temps d’imposer aux cavaliers conjurés contre lui de burlesques mariages qui seraient à leur