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POÈTES FRANCAIS.

les orages politiques qu’il pressent, se retourne un matin vers le passé et commence la première page de ses Mémoires. Il est né à Saint-Malo, d’une famille noble, des anciens Chateaubriand de Beaufort qui se rattachent aux premiers comtes, ensuite ducs de Bretagne. Il discute cette généalogie, il nous y intéresse : « Mais n’est-ce pas là, se dit-il, d’étranges détails, des prétentions mal sonnantes dans un temps où l’on ne veut que personne soit le fils de son père ? Voilà bien des vanités à une époque de progrès, de révolution ? » Non pas ; dans M. de Chateaubriand, le chevaleresque est une qualité inaliénable ; le gentilhomme en lui n’a jamais failli, mais n’a jamais été obstacle à mieux. Béranger se vante d’être du peuple, M. de Chateaubriand revendique les anciens comtes de Bretagne ; mais tous les deux se rencontrent dans l’idée du siècle, dans la république future, et ils se tendent la main.

Cette idée de noblesse et d’antique naissance est surtout nécessaire pour expliquer le caractère et la physionomie du père de M. de Chateaubriand, de l’homme ardent, rigoureux, opiniâtre, magnanime et de génie à sa manière, dont toute la vie se passe à vouloir relever son nom et sa famille ; espèce de Jean-Antoine de Mirabeau dans son âpre baronnie. Il faut voir le portrait ineffaçable de ce père dur et révéré, au nez aquilin, à la lèvre pâle et mince, aux yeux enfoncés et pers ou glauques comme ceux des lions ou des anciens barbares. Son silence redouté, sa tristesse profonde et morne, ses brusques emportemens et le rond de sa prunelle qui se détache comme une balle enflammée dans la colère, puis sa mise imposante et bizarre, la grandeur de ses manières, sa politesse seigneuriale avec ses hôtes quand il les reçoit tête nue, par la bise ou par la pluie, du haut de son perron, comme tout cela est marqué ! Quelle touche à la fois fidèle et pieuse en son exactitude austère ! Si le vieillard revivait, s’il se voyait ainsi retracé et immortel, comme on sent qu’il se reconnaîtrait ! comme il s’enorgueillirait de sa propre vue et de son aspect inexorable ! comme il se saurait gré de sa race ! comme il bénirait ce fils dont il a contristé la jeunesse, et verserait sur lui une de ces rares larmes que sa joue sèche avait si vite dévorées !

À côté de cette haute figure, vient la mère de M. de Chateaubriand, fille d’une ancienne élève de Saint-Cyr, et sachant elle-