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de cet infernal testament. Il s’agit d’une succession de plusieurs millions, et je suis en concurrence avec une famille attentive à profiter de mes fautes et à m’expulser au moment décisif. Le testament en ma faveur existe en bonne forme, mais un instant de dépit peut l’anéantir. Nous sommes ruinés, nous n’avons plus que cette ressource. Il faut que tu ailles à l’hôpital et que je me fasse chef de brigands, si elle nous échappe…

— Ô mon Dieu ! lui dis-je, nous avons vécu en Suisse à si peu de frais ! pourquoi la richesse est-elle une nécessité pour nous ? à présent que nous nous aimons si bien, ne pouvons-nous vivre heureux sans faire de nouvelles infamies ?… —

Il ne me répondit que par une contraction des sourcils qui exprimait la douleur, l’ennui et la crainte que lui causaient mes reproches. Je me tus aussitôt et lui demandai en quoi j’étais nécessaire au succès de son entreprise.

— Parce que la princesse, dans un accès de jalousie assez bien fondée, a demandé à te voir et à t’interroger. Mes ennemis avaient eu soin de l’informer que je passais toutes les matinées auprès d’une femme jeune et jolie qui était venue me trouver à Milan. Pendant long-temps j’ai réussi à lui faire croire que tu étais ma sœur ; mais depuis un mois, que je la délaisse entièrement, elle a des doutes et refuse de croire à ta maladie que je lui ai fait valoir comme une excuse. Aujourd’hui elle m’a déclaré que si je la négligeais dans l’état où elle se trouve, elle ne croirait plus à mon affection et me retirerait la sienne. — Si votre sœur est malade aussi, et ne peut se passer de vous, a-t-elle dit, faites-la transporter dans ma maison, mes femmes et mes médecins la soigneront ; vous pourrez la voir à toute heure, et, si elle est vraiment votre sœur, je la chérirai comme si elle était la mienne aussi. — En vain j’ai voulu combattre cette étrange fantaisie. Je lui ai dit que tu étais très pauvre et très fière, que rien au monde ne te ferait consentir à recevoir l’hospitalité, et qu’il était en effet inconvenant et indélicat que tu vinsses demeurer chez la maîtresse de ton frère ; elle n’a rien voulu entendre, et à toutes mes objections elle répond : — Je vois bien que vous me trompez, ce n’est pas votre sœur. — Si tu refuses, Juliette, nous sommes perdus. Viens, viens, viens, je t’en supplie, mon enfant, viens ! —