Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/291

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
285
LEONE LEONI.

singulière coïncidence de cette espèce de fuite avec l’évènement. Mais au moment où nous sortions de prison, il reparut dans le palais, et intima à Leoni l’ordre de partager la succession avec lui. Il déclara que nous lui devions tout, que sans la hardiesse et la promptitude de sa résolution, le testament eût été déchiré. Leoni lui fit les plus horribles menaces, mais le marquis ne s’en effraya point. Il avait, pour le tenir en respect, le meurtre de Henryet, commis sous ses yeux par Leoni, et pouvait l’entraîner dans sa perte. Leoni, furieux, se soumit à lui payer une somme considérable. Ensuite nous recommençâmes à mener une vie folle ; et à étaler un luxe effréné ; se ruiner de nouveau fut pour Leoni l’affaire de six mois. Je voyais sans regret s’en aller ces biens que j’avais acquis avec honte et douleur ; mais j’étais effrayée ; pour Leoni de la misère qui s’approchait encore de nous. Je savais qu’il ne pourrait pas la supporter, et que, pour en sortir, il se précipiterait dans de nouvelles fautes et dans de nouveaux dangers. Il était malheureusement impossible de l’amener à un sentiment de retenue et de prévoyance ; il répondait par des caresses ou des plaisanteries à mes prières et à mes avertissemens. Il avait quinze chevaux anglais dans son écurie, une table ouverte à toute la ville, une troupe de musiciens à ses ordres. Mais ce qui le ruina le plus vite, ce furent les dons énormes qu’il fut obligé de faire à ses anciens compagnons pour les empêcher de venir fondre sur lui et de faire de sa maison une caverne de voleurs. Il avait obtenu d’eux qu’ils n’exerceraient pas leur industrie chez lui, et pour les décider à sortir du salon, quand ses hôtes commençaient à jouer, il était obligé de leur payer chaque jour une certaine redevance. Cette intolérable dépendance lui donnait parfois envie de fuir le monde et d’aller se cacher avec moi dans quelque tranquille retraite. Mais il est vrai de dire que cette idée l’effrayait encore plus, car l’affection que je lui inspirais n’avait plus assez de force pour remplir toute sa vie. Il était toujours prévenant avec moi ; mais, comme à Venise, il me délaissait pour s’enivrer de tous les plaisirs de la richesse. Il menait au dehors la vie la plus dissolue et entretenait plusieurs maîtresses, qu’il choisissait dans un monde élégant, auxquelles il faisait des présens magnifiques, et dont la société flattait sa vanité insatiable. Vil et sor-