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était honnête et sainte. Elle est morte à l’hôpital. Je voudrais manger le cœur de Leoni.

— Voulez-vous m’aider, en attendant, à lui faire subir une mystification cruelle ?

— Oui.

— Voulez-vous lui écrire et lui donner un rendez-vous ?

— Oui, pourvu que je ne m’y trouve pas.

— Cela va sans dire. Voici le modèle du billet que vous écririez.


« Je sais que tu as retrouvé ta femme et que tu l’aimes. Je ne voulais pas de toi hier, cela me semblait trop facile, aujourd’hui il me paraît piquant de te rendre infidèle. Je veux savoir d’ailleurs si le grand désir que tu as de me posséder est capable de tout, comme tu t’en vantes. Je sais que tu donnes un concert sur l’eau cette nuit. Je serai dans une gondole et je suivrai. Tu connais mon gondolier Cristofano. Tiens-toi sur le bord de ton bateau, et saute dans ma gondole au moment où tu l’apercevras. Je te garderai une heure, après quoi j’aurai assez de toi peut-être pour toujours. Je ne veux pas de tes présens. Je ne veux que cette preuve de ton amour. À ce soir, ou jamais. »


La Misana trouva le billet singulier et le copia en riant.

— Que ferez-vous de lui quand vous l’aurez mis dans la gondole, me dit-elle ?

— Je le déposerai sur la rive du Lido, et le laisserai passer là une nuit un peu longue et un peu froide.

— Je vous embrasserais volontiers pour vous remercier, dit la courtisanne, mais j’ai un amant que je veux aimer toute la semaine. Adieu.

— Il faut, lui dis-je, que vous mettiez votre gondolier à mes ordres.

— Sans doute, dit-elle, il est intelligent, discret, robuste, faites-en ce que vous voudrez.

Je rentrai chez moi, je passai le reste du jour à réfléchir mûrement à ce que j’allais faire. Le soir vint, Cristofano et la gondole m’attendaient sous la fenêtre. Je pris un costume de gondolier. Le bateau de Leoni parut tout illuminé de verres de couleurs qui brillaient comme des pierreries depuis le faîte des mâts jusqu’au