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rités. J’ajoutai sur parole la foi la plus entière à l’histoire de notre étudiant, qui n’est que la préface d’une autre plus originale encore, et qui viendra en son lieu.

Pendant ce temps nous avions traversé un passage, puis une grande place, et nous nous trouvions enfin en face de la cathédrale. C’est un bâtiment gothique d’un style assez remarquable, quoique contraire aux règles architecturales du temps, puisqu’il n’offre, malgré sa qualité d’église métropolitaine, qu’un clocher et pas de tour ; encore le clocher est-il tronqué à la hauteur de 191 pieds, ce qui lui donne l’aspect d’un vaste pain de sucre dont on aurait enlevé la partie supérieure. L’édifice fut commencé en 1421, sur les plans de Mathias Heins, qui avaient obtenu la préférence sur ceux de son compétiteur dont on ignore le nom. Ce dernier dissimula le ressentiment qu’il éprouvait de cette humiliation ; et, comme le monument était déjà parvenu à une certaine hauteur, il demanda un jour à Mathias la permission de l’accompagner sur la plate-forme. Mathias, sans défiance, lui accorda cette demande avec une facilité qui faisait plus d’honneur à son amour-propre qu’à sa prudence, passa le premier, et commença à lui montrer, dans tous leurs détails, les travaux que son rival avait eu un instant l’espoir de diriger. Celui-ci se répandit en éloges pompeux sur le talent de son confrère, qui, jaloux de lui prouver qu’il les méritait, l’invita à le suivre dans les autres parties du monument, et lui montra le chemin le plus court, en s’aventurant, à soixante pieds du sol, sur une planche portant, par ses deux extrémités, sur deux murs en retour et formant un angle. Au même instant on entendit un grand cri. Le malheureux architecte avait été précipité.

Nul ne fut témoin du malheur de Mathias, si ce n’est son rival. Celui-ci raconta que le poids du corps avait fait tourner la planche, mal d’aplomb sur deux murs qui n’étaient pas de niveau, et qu’il avait eu la douleur de voir tomber Mathias sans pouvoir lui porter secours. Huit jours après, il obtint la survivance du défunt, auquel il fit élever, à la place même de sa chute, une magnifique statue, ce qui lui acquit dans toute la ville de Berne une grande réputation de modestie.

Nous entrâmes dans l’église, qui n’offre à l’intérieur, comme tous les temples protestans, rien de remarquable ; deux tombeaux