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IMRESSIONS DE VOYAGES.

des gâteaux comme l’appât le plus propre à réveiller l’appétit individuel des deux antagonistes. Le renard, qui devina sans doute mon intention en me voyant appeler la marchande, fixa ses yeux sur moi et ne me perdit plus de vue. Lorsque j’eus fait provision de vivres et que je les eus emmagasinés dans ma main gauche, je pris une tartelette de la main droite et la montrai au renard. Le sournois fit un petit mouvement de tête comme pour me dire : Sois tranquille, je comprends parfaitement ; puis il passa sa langue sur ses lèvres avec l’assurance d’un gaillard qui est assez certain de son affaire pour se pourlécher d’avance. Je comptais cependant lui donner une occupation plus difficile que la première. L’ours, de son côté, avait vu mes préparatifs avec une certaine manifestation d’intelligence, et se balançait gracieusement assis sur son derrière, les yeux fixes, la gueule ouverte et les pattes tendues vers moi. Pendant ce temps, le renard, rampant comme un chat, était sorti tout-à-fait de son terrier, et je m’aperçus que c’était une cause accidentelle plutôt encore que la vélocité de sa course qui m’avait empêché de reconnaître à quelle espèce il appartenait lors de sa première apparition : la malheureuse bête n’avait pas de queue.

Je jetai le gâteau, l’ours le suivit des yeux, se laissa retomber sur ses quatre pattes pour venir le chercher. Mais au premier pas qu’il fit, le renard s’élança par-dessus le dos de l’ours d’un bond dont il avait pris la mesure si juste, qu’il tomba le nez sur la tartelette ; puis, faisant un grand détour, il décrivit une courbe pour rentrer à son terrier. L’ours furieux, appliquant à l’instant à sa vengeance ce qu’il savait de géométrie, prit la ligne droite avec une vivacité dont je l’aurais cru incapable ; le renard et lui arrivèrent presque en même temps au trou, mais le renard avait l’avance, et les dents de l’ours claquèrent en se rejoignant à l’entrée du terrier au moment même où le larron venait d’y disparaître. Je compris alors pourquoi le pauvre diable n’avait plus de queue.

Je renouvelai plusieurs fois cette expérience à la grande satisfaction des curieux et du renard, qui, sur quatre gâteaux, en attrapait toujours deux.

Les ours qui habitent la seconde fosse sont beaucoup plus jeunes et plus petits. J’en demandai la cause, et j’appris qu’ils