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air fâché, et que personne ne connaît mieux que moi ce qu’il convient de faire et ce qu’il convient d’éviter en voyage.

Ciaò, egregio dottore, lui dis-je en souriant.

Schiavo suo, répondit-il d’une voix brève et en enfonçant son chapeau sur sa tête. ....................... ............................

Je conviens que je suis de ceux qui se casseraient volontiers le cou par bravade, et qu’il n’est pas d’écolier plus vain que moi de son courage et de son agilité. Cela tient à l’exiguïté de ma stature et à l’envie qu’éprouvent tous les petits hommes de faire ce que font les hommes forts. — Cependant tu me croiras si je te dis que jamais je n’avais moins songé à faire ce que nous appelons une expédition. Dans mes jours de gaieté, dans ces jours devenus bien rares, où je sortirais volontiers comme Kreissler avec deux chapeaux l’un sur l’autre, je pourrais hasarder les pas les plus gracieux sur le bord d’un précipice ; mais dans mes jours de spleen, je marche tranquillement au beau milieu du chemin le plus uni, et je ne plaisante pas avec les abîmes. Je sais trop bien que dans ces jours-là le sifflement importun d’un insecte à mon oreille, ou le chatouillement insolent d’un cheveu sur ma joue suffirait pour me transporter de colère et de désespoir, et pour me faire sauter au fond des lacs. — Je marchai donc toute cette matinée sur la route de Trente, en remontant le cours de la Brenta. Cette gorge est semée de hameaux assis sur l’une et l’autre rive du torrent, et de maisonnettes éparses sur le flanc des montagnes. Toute la partie inférieure du vallon est soigneusement cultivée. Plus haut, s’étendent d’immenses pâturages dont la nature prend soin elle-même. Puis une rampe de rochers arides s’élève jusqu’aux nuages, et la neige s’étale au faîte comme un manteau.

La fonte de ces neiges ne s’étant pas encore opérée, la Brenta était paisible et coulait dans un lit étroit. Son eau, troublée et empoisonnée pendant quatre ans par la dissolution d’une roche, a recouvré toute sa limpidité. Des troupeaux d’enfans et d’agneaux jouaient pêle-mêle sur ses bords, à l’ombre des cerisiers en fleurs. Cette saison est délicieuse pour voyager par ici. La campagne est un verger continuel, et si la végétation n’a pas encore tout son luxe, si le vert manque aux tableaux, en revanche la neige les couronne