Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
REVUE DES DEUX MONDES.


xii.
Un dessin au crayon.


Quand les périls sont passés, on les mesure et on les trouve grands. On s’étonne de sa fortune, on pâlit de la peur qu’on aurait pu avoir ; on s’applaudit de ne s’être laissé surprendre à nulle faiblesse, et l’on sent une sorte d’effroi réfléchi et calculé auquel on n’aurait pas songé dans l’action.

La poudre fait des prodiges incalculables, comme ceux de la foudre.

L’explosion avait fait des miracles, non pas de force, mais d’adresse. Elle paraissait avoir mesuré ses coups et choisi son but. Elle avait joué avec nous, elle nous avait dit : J’enlèverai celui-ci, mais non ceux-là qui sont auprès. Elle avait arraché de terre une arcade de pierres de taille et l’avait envoyée tout entière avec sa forme sur le gazon, dans les champs, se coucher comme une ruine noircie par le temps. Elle avait enfoncé trois bombes à six pieds sous terre, broyé des pavés sous des boulets, brisé un canon de bronze par le milieu, jeté dans toutes les chambres toutes les fenêtres et toutes les portes, enlevé sur les toits les volets de la grande poudrière sans un grain de sa poudre ; elle avait roulé dix grosses bornes de pierre comme les pions d’un échiquier renversé ; elle avait cassé les chaînes de fer qui les liaient comme on casse des fils de soie, et en avait tordu les anneaux comme on tord le chanvre ; elle avait labouré sa cour avec les affûts brisés, et incrusté dans les pierres les pyramides de boulets, et sous le canon le plus prochain de la poudrière détruite, elle avait laissé vivre la poule blanche que nous avions remarquée la veille. Quand cette pauvre poule sortit paisiblement de son lit avec ses petits, les cris de joie de nos bons soldats l’accueillirent comme une ancienne amie, et ils se mirent à jouer avec elle avec l’insouciance des enfans.