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et mon épée, et je m’en revenais aux genoux de dona Josefa, lorsque je fus retenu par l’observation d’un incident assez singulier.

La comtesse avait un petit épagneul dont elle était fort éprise, qui l’accompagnait en tous lieux, et dormait la nuit même en son lit. Le joli animal s’était joyeusement ébattu autour de nous durant notre souper, et depuis que j’étais debout, n’avait cessé de me suivre en la chambre, me mordant les bottines et sautant à mes éperons. Il était encore à mes talons, quand je passai devant l’alcove ; se trouvant alors près du cabinet de toilette qui était à côté, il en entr’ouvrit la porte de son museau et s’y glissa à moitié, puis soudain il recula grondant et aboyant, et se réfugia entre mes jambes avec des signes d’un grand effroi.

— Qu’est cela, madame ? Qui peut faire aboyer ainsi votre chien ? dis-je, moins saisi d’inquiétude que de curiosité. Qu’y a-t-il en ce cabinet ?

Et ayant pris un flambeau pour m’éclairer, j’y allais entrer ; mais elle, poussant un grand cri, s’élança sur moi et me retint, et la porte s’ouvrant au même moment, trois hommes en sortirent armés jusqu’aux dents, qui fondirent sur moi avec fureur.

Oh ! je l’avoue, je crus bien voir luire en l’acier de leurs lames l’éclair de la foudre qui frappe. C’est une vue bien horrible que celle d’une mort ainsi obscure et sans vengeance. C’est un calice bien empoisonné à boire ! Oui, me voyant sans épée, j’estimai que c’en était fait de moi. Je ne perdis pas néanmoins toute ma tête. Je jetai au loin le flambeau que j’avais à la main ; puis, étreignant fortement la perfide, bien qu’elle résistât, je me fis de son corps un bouclier, la tenant devant moi et l’opposant aux pointes des trois assassins. Ceux-ci, craignant de la percer, avaient modéré leur furie et retenaient leurs coups. J’avais cependant l’œil à tout autour de moi. Nos mouvemens avaient insensiblement changé la situation où nous étions d’abord. Mes ennemis, en leurs efforts et leur indécision, s’étaient aussi écartés de leur premier terrain. Je les avais toujours en face, mais maintenant j’avais derrière moi le cabinet d’où ils avaient fait irruption. Je m’y jetai d’un saut en arrière et en fermai la porte sur moi, après avoir lâché la comtesse, qui tomba sur le parquet. Ce fut pour les braves un nouvel obstacle ; car, tandis qu’elle s’efforçait de se relever, ils furent empêchés de me suivre d’abord par la crainte de la fouler aux pieds, et moi je profitai de ce retardement, ayant trouvé à tâtons, car j’étais sans lumière, les verroux intérieurs que je tirai. Tout cela s’était passé en moins d’un instant. Je sentais bien mon sang couler de plusieurs blessures que j’avais reçues dans la lutte, mais enfin j’étais debout encore. Ma poitrine, protégée par ma propre ennemie, n’avait point été atteinte. Je n’étais pas cependant hors d’affaire et je n’avais