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HOMMES D’ÉTAT DE L’ANGLETERRE.

croyance personnelle ne soit pas d’accord avec ses intérêts. Dans sa carrière politique, il a été guidé, dit-on, par un homme singulier qui rappelle le père Joseph de Richelieu : prêtre catholique qui se trouve au fond de tous les mouvemens de l’Irlande, à ce qu’on prétend, mais qui ne se montre jamais, et qui consacre en secret son talent et son génie au succès de la cause qu’il a choisie. Il se nomme le père Lestrange.

Quoi qu’il en soit, l’état ecclésiastique n’offrait pas une perspective assez orageuse ni assez vaste au jeune étudiant de Saint-Omer, à son esprit turbulent, à son âme ardente. Au xve ou au xvie siècle, O’Connell, prêtre, eût commandé une croisade et dirigé une ligue. Au siècle où nous sommes, il eut raison de quitter la tonsure et la soutane et de se faire avocat. En 1798, à vingt-quatre ou vingt-cinq ans, il fut reçu membre du barreau irlandais ; année mémorable, année sanglante et qui marquera dans les annales de cette île malheureuse. Le berceau politique d’O’Connell fut placé dans les orages et les ténèbres de cette redoutable année : ce fut là peut-être qu’il fit l’éducation de ce génie remuant qui a exercé tant d’influence sur sa patrie, qui a soulevé et apaisé les flots populaires, qui n’a pas accompli toute son œuvre, et qui peut-être lancera ses compatriotes dans un océan plus tempestueux encore, au milieu d’écueils plus sanglans et plus terribles que ceux qui ont déjà brisé leur navire et déchiré leurs voiles.

Depuis la conquête de l’Irlande par Guillaume iii jusqu’à l’année 1783, deux chambres représentatives ont gouverné l’Irlande ; mais avec cette clause remarquable, que leurs décrets ont besoin de la sanction du parlement d’Angleterre et ne peuvent s’en passer. Quand la guerre d’Amérique éclata, lorsque l’Angleterre fut obligée de concentrer toutes ses forces pour résister à la coalition des puissances européennes qui la menaçaient, lorsque l’exemple du Nouveau-Monde réveilla la nationalité irlandaise, mille voix jaillirent en même temps de l’Irlande et demandèrent pour elle une constitution indépendante : on parvint à l’arracher, non à la justice, mais aux terreurs de George iii et de son gouvernement.

La première révolte eut pour cause cette tyrannie commerciale qu’une rapacité sans pudeur faisait peser sur l’île d’Erin. Elle se peupla d’associations armées. Soixante-dix mille volontaires terri-