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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

une pureté de passion qu’elle portait dans tout ; elle accrut cette constante ardeur en présence de la maladie et des souffrances, elle s’appliqua à les subir, elle les voulut, elle les aima. Mais nous reviendrons tout-à-l’heure à cette belle partie d’elle-même.

Il n’y a pas trace jusqu’ici dans la vie de Mme de Duras d’essai littéraire ni d’intention d’écrire. Ce fut pur hasard en effet, si elle devint auteur. En 1820 seulement, ayant un soir raconté avec détail l’anecdote réelle d’une jeune négresse élevée chez la maréchale de Beauveau, ses amis, charmés de ce récit (car elle excellait à raconter), lui dirent : « Mais pourquoi n’écririez-vous pas cette histoire ? » Le lendemain, dans la matinée, la moitié de la nouvelle était écrite. Édouard vient ensuite ; puis deux ou trois autres petits romans non publiés, mais qui le seront avant peu, nous avons lieu de le croire. Elle s’efforçait ainsi de se distraire des souffrances du corps en peignant celles de l’ame ; elle répandait en même temps sur chacune de ces pages tendres un reflet des hautes consolations vers lesquelles, chaque jour, dans le secret de son cœur elle s’acheminait.

L’idée d’Ourika, d’Édouard, et probablement celle qui anime les autres écrits de Mme de Duras, c’est une idée d’inégalité, soit de nature, soit de position sociale, une idée d’empêchement, d’obstacle entre le désir de l’ame et l’objet mortel ; c’est quelque chose qui manque et qui dévore, et qui crée une sorte d’envie sur la tendresse ; c’est la laideur et la couleur d’Ourika, la naissance d’Édouard ; mais dans ces victimes dévorées et jalouses, toujours la générosité triomphe. L’auteur de ces touchans récits aime à exprimer l’impossible et à y briser les cœurs qu’il préfère, les êtres chéris qu’il a formés : le ciel seulement s’ouvre à la fin pour verser quelque rosée qui rafraîchit. Tandis que dans l’extérieur du monde Mme de Duras ne se présentait que par l’accord convenable et l’accommodement des opinions, là, dans ses écrits, elle se plaît à retracer l’antagonisme douloureux et le déchirement. C’est qu’au fond tout était lutte, souffrance, obstacle et désir dans cette belle ame, ardente comme les climats des tropiques où avait mûri sa jeunesse, orageuse comme les mers sillonnées par Kersaint ; c’est qu’elle était une de celles qui ont des instincts infinis, des essors violens, impétueux, et qui demandent en toute chose à la terre ce