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Adrien de Bubemberg, qui commandait la garnison de Morat, voyait s’avancer cette armée, trente fois plus nombreuse que la sienne, sans donner aucune marque de crainte : il rassembla les soldats et les habitans, leur exposa le besoin qu’ils allaient avoir les uns des autres, la nécessité où ils étaient de ne plus faire qu’une famille armée, afin qu’ils se prêtassent aide comme frères ; et, lorsqu’il les vit dans ces dispositions, il leur dicta le serment de s’ensevelir jusqu’au dernier sous les ruines de la ville. Trois mille voix jurèrent en même temps ; puis, une seule voix jura à son tour de mettre à mort quiconque parlerait de se rendre ; cette voix était celle d’Adrien de Bubemberg. Ces précautions prises, il écrivit aux Bernois : « Le duc de Bourgogne est ici avec toute sa puissance, ses soudoyés italiens, et quelques traîtres d’Allemands ; mais messieurs les avoyers, conseillers et bourgeois peuvent être sans crainte, ne se point presser, et mettre l’esprit en repos à tous nos confédérés. Je défendrai Morat. »

Pendant ce temps, le duc enveloppait la ville avec les ailes de son armée, commandées par le grand Bâtard de Bourgogne et le comte de Romont. Le premier s’étendait sur la route d’Avenches et d’Estavayer, le second sur le chemin d’Arberg, tandis que, formant leur centre, et du superbe logis de bois qu’il s’était fait bâtir sur les hauteurs de Courgevaux, le duc pouvait presser ou ralentir leurs mouvemens, comme un homme qui ouvre ou ferme les bras. La ville était donc libre d’un seul côté : c’était celui du lac, dont les flots venaient baigner ses murs, et sur la surface duquel glissaient silencieusement chaque nuit des barques chargées d’hommes, de secours et de munitions de guerre.

De l’autre côté de la Sarine, et sur les derrières du duc, les Suisses organisaient non-seulement la défense, mais encore l’attaque. Les petites villes de Laupen et de Gumenen avaient été mises en état de résister à un coup de main, et, protégée par elles, Berne s’était fait le point de réunion des confédérés.

Le duc vit bien qu’il n’y avait pas de temps à perdre : il fit sommer la ville de se rendre ; et, sur le refus de son commandant, le comte de Romont fit démasquer soixante-dix grosses bombardes, qui, au bout de deux heures, avaient abattu un pan de mur assez large pour donner l’assaut. Les Bourguignons, voyant crouler la