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religieuse, les plus belles odes que l’Allemagne possède, à partir de Luther jusqu’à Novalis. Ce besoin de lecture est surtout extrêmement développé en Prusse, en Saxe, et dans les autres parties protestantes de l’Allemagne. Là, il faut qu’un village soit bien pauvre pour n’avoir pas au moins un cabinet de lecture, et un cabaret bien dépourvu de clientelle pour ne pas recevoir un ou deux journaux. Ainsi il arrive que dans cette masse de livres niais ou insignifians qui se publient ici chaque année, une bonne partie s’écoule toujours dans les échoppes d’artisans et les chaumières, et qu’au bout du compte l’éditeur ne perd pas autant qu’on pourrait le croire ; et il faut bien que cela soit, car on ne saurait se faire une idée, si on ne l’a vue soi-même, de l’étrange monotonie que présentent ces millions d’articles d’un catalogue de foire : livres de contes, livres pour les enfans, livres de cuisine, d’agriculture, d’économie, de calcul, etc., etc. Je ne sache pas une chose au monde sur laquelle les Allemands n’aient trouvé le moyen de publier quelques bons ou mauvais livres.

Après cette large et invariable nomenclature d’ouvrages indigènes, arrivent les livres étrangers que les Allemands recherchent avec avidité. Il n’est pas besoin qu’un livre soit mentionné trois fois de suite honorablement dans nos journaux pour qu’il se réimprime bientôt en Allemagne. Il a paru en même temps, de Bruxelles à Berlin, cinq éditions et trois traductions de cette méchante agrégation appelée Livre des Cent-et-Un. Qui pourrait dire le parti que l’on tire ici de nos bons journaux littéraires depuis Bruxelles qui les répète si promptement, jusqu’aux gazettes allemandes qui les épluchent, les scindent, les commentent, les dispersent par échantillons et par parcelles ? Qui pourrait dire à combien de graves méditations Ch. Nodier expose l’esprit consciencieux d’un journaliste allemand, avec ses idées de palingénésie, et quelle rumeur soulève dans ce camp pacifique, ou l’annonce des Mémoires de M. de Châteaubriand, ou le livre de M. de La Mennais ? Ce qui arrive pour les journaux arrive également pour les romans. On les reçoit par la poste, on les lit avec avidité. Un jour je me trouvais dans une société avec une jeune personne de dix-sept à dix-huit ans, qui me parlait de notre littérature actuelle. — On fait maintenant de si mauvais livres en France, me disait-elle. Le compliment n’était pas des plus agréables à entendre. — Des livres si immoraux ?… Immoraux ! Le mot était dur, mais je ne pouvais pourtant pas discuter la moralité de quelques-unes de nos nouvelles productions avec une jeune fille allemande, qui, en me parlant, baissait si modestement les yeux. Donc j’acceptai l’épithète d’immoraux avec la plus grande résignation, et elle continua : Un homme peut à peine les lire, une femme n’ose pas y songer. — Ainsi, mademoiselle, vous n’avez sans doute pas