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sera le plus empressé de déposer à ses pieds ce qu’il produit de plus rare, ce qu’il possède de plus précieux ? Les mains de ses enfans ne seront pas davantage chargées d’armes pesantes ; elle ne prodiguera pas leur sang précieux au milieu des combats ; les hasards de la mer, les périls des tempêtes, sont les seuls dangers qu’ils seront appelés à braver. La mer ne lui fournit-elle pas assez d’or pour solder tout le sang de tous ces peuples qu’elle précipite sur les champs de bataille sans relâche et sans pitié ! Sa destinée, à elle, c’est de régner sur les flots, de porter le sceptre des mers, qui eût été celui du monde, si Rome ne lui eût fait face sur le rivage opposé.

Au moment où pour la première fois ces deux villes, jusqu’alors presque inconnues l’une à l’autre, se trouvèrent en présence, toutes prêtes à se prendre corps à corps, Rome n’avait pas un seul navire en mer, la mer elle-même était pour elle chose nouvelle. Elle n’hésite pas cependant à se confier à cet autre élément ; il lui apparaît comme un champ de bataille. À peine a-t-elle trouvé sur le rivage une galère carthaginoise poussée par la tempête, qu’elle transforme ses légionnaires en charpentiers, en constructeurs, en charrons. Les vieilles forêts sont abattues : leurs arbres roulent sur le rivage où, bientôt dégrossis, équarris, sciés, courbés de mille façons, travaillés en tous sens, ils se transforment en nombreuses galères. Dans l’intervalle de leurs travaux les guerriers se sont faits marins, comme ils venaient de se faire charpentiers et constructeurs ; au commandement d’un chef, placés sur le rivage dans le même ordre que le sont les rameurs dans une galère, ils s’étaient exercés à la manœuvre, au maniement de l’aviron. À peine en mer, on rencontre la flotte des Carthaginois, commandée par Annibal. La légèreté des vaisseaux de ces derniers, l’habileté de leurs marins, semblent d’abord leur donner la victoire ; mais elle reste en définitive aux Romains, qui prennent ou coulent cinquante galères ennemies, parmi lesquelles se trouve celle d’Annibal, et mettent le reste en fuite. Trois mois après, c’est-à-dire quatre mois environ après la publication du décret des consuls ordonnant la construction des galères, cent quarante mille Romains remportent une nouvelle victoire navale sur cent cinquante mille Carthaginois. On peut douter que la volonté de l’homme se soit