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POÉTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

les sépare ; ce jour-là est un jour décisif pour Amaury. Témoin de ces trois douleurs qu’il a faites, il s’afflige et s’apitoie sur lui-même, il maudit sa misère et son infirmité. Il s’éloigne avec un effroi religieux de ces trois plantes flétries au souffle de son amour impuissant. Il se retire de la vie où il n’a plus de rôle à jouer, il se réfugie en Dieu ; et pour que rien ne manque au châtiment de sa lâcheté, à peine a-t-il été ordonné prêtre, qu’il assiste aux derniers momens de Mme de Couaën ; il récite sur sa dépouille la prière des morts et renvoie au ciel cette âme dont il n’a pas voulu.

Il y a dans tout ceci une haute moralité. Cette histoire très simple aboutit à une conclusion lumineuse, à un enseignement sévère, à une leçon évidente : Amaury manque sa destinée faute d’avoir voulu.

Aimer, savoir, qu’est-ce après tout sans la volonté ? Une occasion de vivre, mais non pas la vie elle-même. Vérité simple, et que beaucoup pourtant révoquent en doute ou ne soupçonnent pas.

Si j’ai négligé dans cette rapide analyse toute la partie locale et historique du roman ; si j’ai omis le portrait de M. de Couaën, celui de Mme de Cursy, celui de George Cadoudal, c’est que ces trois figures ne sont pas sur le premier plan du tableau, c’est qu’elles servent plutôt à l’encadrement de l’action qu’à l’action elle-même, c’est que dans la destinée d’Amaury ces trois noms sont plutôt des accidens que des ressorts.

L’épilogue tout entier est magnifique d’élévation, d’abondance et de verve. Dès qu’Amaury, en expiation de sa jeunesse livrée aux vents capricieux de la volupté, pour racheter ses années perdues, a choisi la prière comme un dernier et inviolable asile, comme un rocher inexpugnable, et que les flots du monde baignent incessamment sans jamais l’ébranler, il se régénère et se relève, il se renouvelle et se transfigure ; le voluptueux redevient homme.

Le style de ce roman participe des qualités habituelles à l’auteur. La grâce, la pureté qui lui sont familières se retrouvent dans ce livre. Mais il y a lieu, je crois, à faire quelques remarques techniques sur la trame intérieure du langage appliqué au récit et en particulier au roman.

La forme choisie par l’auteur admet, je le sais, toutes les variétés, toutes les nuances du style, depuis le familier jusqu’au lyrique,