Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/355

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
351
POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

rait imposer silence à l’acharnement de ses soupçons. S’il n’a pas vraiment méconnu son amour, s’il n’a pas oublié ses sacrifices, s’il a seulement négligé de la bénir et de la remercier chaque jour comme il devait le faire, peu importe à celle qui souffre ; il y a des larmes que nulle prière ne peut sécher. Quand ces douleurs et ces larmes sont venues, l’amour s’éteint et se réduit en cendres.

Quand Ellenore et Adolphe se rencontrent, chacun des deux est préparé à l’enthousiasme et au dévouement. Le découragement et la vanité, qui sembleraient devoir s’exclure, se rapprochent et s’apprivoisent rapidement. Adolphe choisit Ellenore entre toutes les femmes, non pas pour la relever et la soutenir, car il ne la connaît pas assez pour sympathiser avec son chagrin, mais parce qu’elle a tenu tête à l’orage, parce qu’elle a lutté contre l’envie et la médisance, parce que les yeux sont fixés sur elle, parce que sa fidélité permanente a déjoué bien des ambitions injurieuses, parce que son dédain a humilié bien des jactances.

Ce qu’il faut au cœur d’Adolphe, ce n’est pas un amour mystérieux et timide ; si toute la terre devait ignorer qu’il est aimé, si son bonheur devait rester dans l’ombre, il n’en voudrait pas. Ce qu’il souhaite, ce qu’il appelle de ses vœux et de ses larmes, c’est une lutte publique, un triomphe éclatant, un amour qui puisse lui tenir lieu de gloire.

Or, pour réaliser le vœu d’Adolphe, pour étancher la soif de cette vanité qui le dévore, une femme belle et jeune, vivant dans le secret de la famille, élevée dans les doctrines de l’obéissance et du devoir, épargnée de la calomnie, nourrie dans un bonheur paisible, et défiant les tempêtes qu’elle ne prévoit pas, ne peut dignement lutter avec Ellenore.

Si Adolphe cédait naïvement au besoin d’aimer, il ne marquerait pas si haut le but de ses espérances. Il choisirait près de lui un cœur du même âge que le sien, un cœur nouveau, épargné des passions, où son image put se réfléchir à toute heure sans avoir à craindre une image rivale. Il comprendrait de lui-même, il devinerait cette vérité douloureuse et qui n’est jamais impunément méconnue, c’est que l’avenir ne suffit pas à l’amour, et que le cœur le plus indulgent ne peut se défendre d’une jalousie acharnée contre le passé. Il ne s’exposerait pas à essuyer sur les lèvres de sa