Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
REVUE DES DEUX MONDES.

semblent avoir épuisé leur génie à former leurs poignards, et où se rencontraient alors tous les navires de l’Orient ; cette Chine, qui apparaît dans nos temps, garrottée des mille liens d’une civilisation qui lui ôte tout mouvement, et semble plutôt une momie de peuple qu’un peuple animé et vivant ; toutes ces contrées si distinctes les unes des autres, tous ces climats si divers, toutes ces nations de mœurs, d’histoires, de destinées si peu semblables, devenaient tributaires et sujets d’une petite et pauvre province, jetée à l’extrémité de l’Europe, et qui elle-même ne devait briller que d’un éclair de gloire avant de rentrer à jamais dans son obscurité primitive. La péninsule ibérienne semblait vouloir embrasser le monde entier en étendant à la fois ses bras à l’est et à l’ouest, et en se saisissant en même temps, par l’Espagne et le Portugal, et des Amériques et des Indes-Orientales : Carthage était ressuscitée.

Des espaces qu’aucune main n’avait encore mesurés s’étendaient entre ces deux continens. Dans son vol le plus hardi, la pensée osait à peine planer sur ces effrayans abîmes ; c’étaient comme deux univers reposant sur les bords opposés d’un gouffre infranchissable.

Mais un jour vint pourtant où les voiles des vaisseaux de Magellan se déployèrent dans ces immenses solitudes. Après avoir traversé le détroit qu’il a immortalisé, Magellan se hasarde le premier sur cette mer qu’il salua du nom si peu mérité depuis lors d’Océan pacifique. Aucun moyen n’existait, pour ce navigateur, d’apprécier, même approximativement, l’étendue de la masse d’eau qui se déroulait devant ses vaisseaux ; les flots sur lesquels ils se balançaient, battaient à la fois et les côtes de la Chine et celles de l’Amérique. Cet abîme inconnu, absolument inconnu, ne pouvait-il pas receler d’effroyables tempêtes ? N’avait-il pas des rochers, des bas-fonds, des courans, des trombes, des ouragans ? Ne recélait-il pas encore grand nombre d’autres périls inconnus, mais, par cela même, plus terribles à l’imagination ? Entreprise inférieure en sublimité de génie, mais nullement en hardiesse d’esprit, en courage de cœur, à celle de Colomb, et qui, malgré mille obstacles, obtint un succès complet. Après avoir surmonté d’innombrables difficultés, des quatre vaisseaux de Magellan, un seul, après quatre ans et demi de navigation, un seul revit les côtes d’Espagne ; et celui-là, placé aussi-