Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/387

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
383
LES ÂMES DU PURGATOIRE.

il croyait pouvoir la prendre, surtout si le seigneur don Garcia n’avait pas chargé son voisin de la lui garder.

« Vous êtes étranger ici à ce que je vois, dit l’étudiant, et arrivé depuis bien peu de temps, puisque vous ne connaissez pas don Garcia. Sachez donc que c’est un des hommes les plus… » Ici l’étudiant baissa la voix, et parut éprouver la crainte d’être entendu des autres étudians. « Don Garcia est un homme terrible. Malheur à qui l’offense ! Il a la patience courte et l’épée longue ; et soyez sûr que si quelqu’un s’assied à une place où don Garcia s’est assis deux fois, c’en est assez pour qu’une querelle s’ensuive, car il est fort chatouilleux et susceptible. Quand il querelle, il frappe, et quand il frappe, il tue. Or donc, je vous ai averti ; vous ferez ce qui vous semblera bon. »

Don Juan trouvait fort extraordinaire que ce don Garcia prétendît se réserver les meilleures places sans se donner la peine de les gagner par son exactitude. En même temps il voyait que plusieurs étudians avaient les yeux sur lui, et il sentait combien il serait mortifiant de quitter son siége après s’y être assis. D’un autre côté, il ne se souciait pas du tout d’avoir une querelle dès son arrivée, et surtout avec un homme aussi dangereux que paraissait l’être don Garcia. Il était dans cette perplexité, ne sachant à quoi se déterminer, et restant toujours machinalement à la même place, lorsqu’un étudiant entra et s’avança droit vers lui. « Voici don Garcia, » lui dit son voisin.

Ce don Garcia était un jeune homme large d’épaules, bien découplé, le teint hâlé, l’œil fier et la bouche méprisante. Il avait un pourpoint qui avait pu être noir, et un manteau troué ; par-dessus tout cela pendait une longue chaîne d’or. On sait que de tout temps les étudians de Salamanque et des autres universités d’Espagne ont mis une espèce de point d’honneur à paraître déguenillés, voulant probablement montrer par là que le véritable mérite sait se passer des ornemens empruntés à la fortune.

Don Garcia s’approcha du banc où don Juan était encore assis, et le saluant avec beaucoup de courtoisie : « Seigneur étudiant, dit-il, vous êtes nouveau venu parmi nous ; pourtant, votre nom m’est bien connu. Nos pères ont été grands amis, et si vous voulez le permettre, leurs fils ne le seront pas moins. » En parlant ainsi,