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se retirer sur-le-champ, cependant elle écoutait don Juan avec tant de plaisir qu’elle ne pouvait se décider à s’en retourner. Une heure à peu près se passa de la sorte toute remplie de sermens d’amour éternel, baisemens de main, prières d’une part, faibles refus de l’autre. Don Garcia, qui entra tout à coup, interrompit le tête-à-tête. Il n’était pas homme à se scandaliser. Son premier soin fut de rassurer dona Teresa. Il loua beaucoup son courage, sa présence d’esprit, et finit par la prier de s’entremettre auprès de dona Fausta, afin de lui ménager un accueil plus humain, Dona Teresa promit tout ce qu’il voulut, s’enveloppa hermétiquement dans son manteau, et partit après avoir promis de se trouver le soir même avec sa sœur dans une partie de la promenade qu’elle désigna.

— Nos affaires vont bien, dit don Garcia aussitôt que les deux jeunes gens furent seuls. Personne ne vous soupçonne. Le corrégidor, qui ne me veut pas de bien, m’avait d’abord fait l’honneur de penser à moi. Il était persuadé, disait-il, que c’était moi qui avais tué don Christoval. Savez-vous ce qui lui a fait changer d’opinion ? C’est qu’on lui a dit que j’avais passé toute la soirée avec vous, et vous avez, mon cher, une si grande réputation de sainteté, que vous en avez à revendre pour les autres. Quoi qu’il en soit, on ne pense pas à nous. L’espièglerie de cette brave petite Teresa nous rassure pour l’avenir ; ainsi n’y pensons plus, et ne songeons qu’à nous amuser.

— Ah ! don Garcia, s’écria tristement don Juan, c’est une bien triste chose que de tuer un de ses semblables !

— Il y a quelque chose de plus triste, répondit don Garcia, c’est qu’un de nos semblables nous tue, et une troisième chose qui surpasse les deux autres en tristesse, c’est un jour passé sans dîner. C’est pourquoi je vous invite à dîner aujourd’hui avec quelques bons vivans qui seront charmés de vous voir. En disant ces mots, il sortit.

L’amour faisait déjà une puissante diversion aux remords de don Juan. La vanité acheva de les étouffer. Les étudians avec lesquels il dîna chez don Garcia, avaient appris par lui quel était le véritable meurtrier de don Christoval. Ce don Christoval était un cavalier fameux par son courage et par son adresse ; il était redouté