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UN VAISSEAU À LA VOILE.

complète possession de la terre, se reposera au sein d’une civilisation toute remplie d’harmonie et d’une majestueuse unité, ne formant vraiment plus qu’un peuple, qu’une nation, qu’une cité.

Instrument principal de ce grand développement social, le navire moderne a dû subir de nombreuses transformations pour se trouver en harmonie avec le rôle qu’il avait à remplir. La galère perfectionnée des derniers siècles du monde antique ne surpassait pas plus les informes radeaux dont elle était sortie, qu’il ne surpasse cette galère elle-même. Ce navire s’est dépouillé de ses rames trop fragiles pour lutter contre les vagues montagneuses de l’Océan ; ses flancs épaissis sont devenus de puissantes murailles ; des canons, savamment combinés, le défendent par une double et triple ceinture de feux ; ses batteries et ses entreponts se sont élargis de manière à pouvoir receler dans leurs nombreux compartimens de quoi suffire aux besoins, jusqu’aux recherches d’une civilisation perfectionnée ; jadis bas et rapproché du niveau de l’eau, le pont s’élève fièrement aujourd’hui au-dessus des plus hautes lames et des plus menaçantes ; la cale s’est en même temps plus profondément enfoncée sous l’eau, ainsi que doivent le faire en terre les fondemens d’un édifice, à mesure que les parties supérieures en sont plus élevées ; la mâture basse et presque dégarnie de gréemens de l’ancienne galère s’en va maintenant jusque dans le voisinage des nues, toute chargée d’un labyrinthe de cordages où se meut un peuple entier de matelots ; des voiles immenses, ailes rapides et infatigables, se ployant et se déployant avec un art infini, font voler le navire à la surface de l’Océan avec plus de vitesse que ne le fait l’aigle dans les plaines de l’air, pour parler la langue d’Homère. C’est tout à la fois une citadelle, une grande ville, un palais ; c’est un magnifique instrument de science et de civilisation, c’est un instrument de guerre et de destruction non moins magnifique, permettant aux hommes de se combattre sur des champs de bataille de plusieurs lieues d’étendue, en dépit des flots soulevés et des vents déchaînés. Déjà l’imagination s’étonnait et se troublait à vouloir saisir dans son ensemble et ses détails cette œuvre merveilleuse ; mais voilà que tout à coup un nouveau fiat de la toute-puissance humaine vient de la transformer, sous nos yeux, en un être vraiment doué d’intelligence et de volonté, et lui a donné