Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/424

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
420
REVUE DES DEUX MONDES.

éprouva une espèce de regret de ne pas rencontrer plus d’obstacles. Tel est à peu près le regret d’un chasseur qui poursuit un cerf, comptant sur une longue et pénible course. Tout à coup l’animal tombe à peine lancé, enlevant ainsi au chasseur le plaisir et le mérite qu’il s’était promis de la poursuite. Toutefois il ramassa promptement le billet, et sortit de l’église pour aller le lire à son aise. Voici ce qu’il contenait.


« C’est vous, don Juan ! Est-il donc vrai que vous ne m’avez point oubliée. J’étais bien malheureuse, mais je commençais à m’habituer à mon sort. Je vais être maintenant une fois plus malheureuse. Je devrais vous haïr… ; vous avez versé le sang de mon père…, mais je ne puis vous haïr ni vous oublier. Ayez pitié de moi. Ne revenez plus dans cette église ; vous me faites trop de mal. Adieu, adieu, je suis morte au monde.

Teresa de Ojeda. »


— Ah ! c’est la Teresita ! se dit don Juan. Je savais bien que je l’avais vue quelque part. Puis il relut encore le billet. — Je devrais vous haïr. — C’est-à-dire je vous adore. — Vous avez versé le sang de mon père !… — Chimène en disait autant à Rodrigue… — Ne revenez plus dans cette église. — C’est-à-dire je vous attends demain. Fort bien ! elle est à moi. Il alla dîner là-dessus.

Le lendemain il fut ponctuel à se trouver à l’église avec une lettre toute prête dans sa poche, mais sa surprise fut grande de ne pas voir paraître la sœur Agathe. Jamais une messe ne lui sembla plus longue. Il était furieux. Après avoir maudit cent fois les scrupules de Teresa, il alla se promener sur les bords du Guadalquivir pour chercher quelque expédient, et voici celui auquel il s’arrêta : Le couvent de Notre-Dame du Rosaire était renommé parmi tous ceux de Séville pour les excellentes confitures que les sœurs y préparaient. Il alla au parloir, demanda la tourière, et se fit donner la liste de toutes les confitures qu’elle avait à vendre. N’auriez-vous pas des citrons à la Marana ? demanda-t-il de l’air le plus naturel du monde.

— Des citrons à la Marana, seigneur cavalier ? Voici la première fois que j’entends parler de ces confitures-là.