Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/429

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
425
LES ÂMES DU PURGATOIRE.

passait près de la tour del Lloro, où un de ses domestiques l’attendait. Il lui remit son cheval, s’informa si la litière et les mules étaient prêtes, et si elles allaient suivant ses ordres l’attendre dans une rue assez voisine du couvent pour qu’il pût s’y rendre promptement à pied avec Teresa, et cependant pas assez près pour exciter les soupçons de la ronde, si elle venait à les rencontrer. Tout était prêt, ses instructions avaient été exécutées à la lettre. Il vit qu’il avait encore une heure à attendre avant de pouvoir donner le signal convenu à Teresa. Son domestique lui jeta un grand manteau brun sur les épaules, et il entra seul dans Séville par la porte de Triana, se cachant la figure de manière à n’être pas reconnu. La chaleur et la fatigue le forcèrent de s’asseoir sur un banc dans une rue déserte. Là il se mit à siffler et à fredonner les airs qui lui revinrent à la mémoire. De temps en temps il consultait sa montre et voyait avec chagrin que l’aiguille n’avançait pas au gré de son impatience. Tout à coup une musique lugubre et solennelle vint frapper son oreille. Il distingua sans peine les chants que l’église a consacrés aux enterremens. Bientôt une procession tourna le coin de la rue, et s’avança vers lui. Deux longues files de pénitens, portant des cierges allumés, précédaient une bière couverte de velours noir, et portée par plusieurs figures habillées à la mode antique, la barbe blanche et l’épée au côté ; la marche était fermée par deux autres files de pénitens en deuil et portant des cierges comme les premiers. Tout ce convoi s’avançait lentement et gravement. On n’entendait pas le bruit des pas sur le pavé, et on eût dit que chaque figure glissait plutôt qu’elle ne marchait. Les plis raides et longs des robes et des manteaux semblaient aussi immobiles que les vêtemens de marbre des statues.

Don Juan, à ce spectacle, éprouva d’abord cette espèce de dégoût que l’idée de la mort inspire à un épicurien. Il se leva et voulut s’éloigner, mais le nombre des pénitens et la pompe du cortège le surprit et piqua sa curiosité ; il se dirigeait vers une église voisine dont les portes venaient de s’ouvrir avec bruit. Don Juan arrêta par la manche une des figures qui portaient des cierges, et lui demanda poliment quelle était la personne qu’on allait enterrer. Le pénitent leva la tête ; sa figure était pâle et décharnée comme celle d’un homme qui sort d’une longue et douloureuse