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C’est là, parmi ces professeurs, que se trouvent Hugo, le doyen des jurisconsultes allemands ; Heeren, l’historien couronné deux fois par l’Institut de France ; Gauss, que l’on regarde comme le plus grand mathématicien de l’Allemagne ; Ottfried Müller, qui, à l’âge où les autres ne font encore qu’étudier, s’est élevé au premier rang des archéologues ; les deux frères Grimm, deux nobles hommes qui ont resserré par l’étude, par une admirable association de travaux les liens de la nature ; Amédée Wendt, l’auteur de l’Histoire de l’art, et l’éditeur du célèbre ouvrage philosophique de Tennemann ; le vénérable Blumenbach, que ses quatre-vingt-cinq ans n’empêchent pas encore de continuer ses cours ; Giessler, qui semble partager avec Neander le domaine de l’histoire ecclésiastique ; Langenbeck l’anatomiste, etc.

Ce qu’il y a surtout de beau à observer, c’est le caractère simple et modeste de ces hommes qui ont passé une vie si laborieuse, qui ont fait germer tant de beaux fruits dans le champ de la science ; c’est la facilité avec laquelle ils se communiquent à ceux qui sont placés loin d’eux dans la hiérarchie littéraire, et les relations d’amitié et de confiance qu’ils conservent l’un envers l’autre. Ce n’est plus cette gêne qui pèse sur les professeurs des universités catholiques, toujours restreints par la censure, toujours poursuivis par l’espionnage des prêtres ou du gouvernement ; c’est le laissez-aller des hommes qui peuvent dire franchement et loyalement ce qu’ils pensent, c’est la noble liberté de la science qui passe dans les relations privées. Jamais je n’ai si bien compris l’image d’une république des lettres qu’en voyant cette réunion de professeurs, unis l’un à l’autre par des liens d’estime, travaillant avec le même amour au même but, et s’encourageant mutuellement dans la route qu’ils ont à suivre, dans les obstacles qu’ils ont à vaincre.

J’ai assisté un jour à l’une de leurs fêtes. Peu de choses m’ont autant frappé. On célébrait la cinquantième année de doctorat du savant Heeren. C’était un jour de vacance et de joie pour toute l’université. Dès le matin, une députation des diverses facultés était allée offrir au noble professeur un nouveau diplôme de docteur, imprimé en lettres d’or sur parchemin ; après midi, les professeurs ordinaires et extraordinaires, les magistrats de la ville et quelques étrangers se réunirent à la même table. Nous étions tous assis, lorsque Heeren arriva conduit par deux professeurs, et je ne saurais rendre le sentiment de respect avec lequel tout le monde se leva spontanément à son approche, et l’émotion qui nous saisit en voyant cette belle tête blanche de vieillard. Les mœurs modernes semblaient retourner aux mœurs antiques ; Lacédémone eût applaudi à ce tableau. Heeren s’assit dans le fauteuil qui lui était destiné, sous les branches de