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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

trerai bien que si. » Et quand le froid devenait trop vif, il ôtait du feu avec colère ses chenets, surmontés de satyres barbus, en disant : « Voyez un peu ces gros joufflus qui se chauffent là tout à leur aise, tandis que je meurs de froid ! »

Quels étaient maintenant les bienheureux disciples admis à ces conférences que chaque jour Malherbe tenait dans sa petite chambre ? Plusieurs d’entre eux échangèrent depuis l’humble chaise qu’ils y occupaient contre le fauteuil de l’Académie.

C’était d’abord un jeune page que Malherbe trouva chez le duc de Bellegarde, où il se mêlait de rimailler. Honorat de Beuil, marquis de Racan, né en 1589, sur un rocher de Touraine, dont le souvenir le fit une fois grand poète ;

C’était le peintre Dumontier, le même, je crois, à qui nous devons tant de portraits historiques ;

C’était Yvrande, gentilhomme breton, page de la grande écurie, dont la renommée tout entière est restée ensevelie dans le recueil des Ana du temps ;

C’était encore de Touvant, qui n’était pas grand’chose, disent les Mémoires, mais que Malherbe jugeait propre à la poésie.

Il ne faut pas oublier Colomby, un Normand, parent de Malherbe, qui recevait, tous les ans, douze cents écus, pour exercer la charge singulière d’orateur du roi pour les affaires d’état. N’oublions pas surtout Maynard, esprit facile et délicat, dont les sonnets, pour avoir de la grâce, ne valent pas toutefois de longs poèmes.

Un grand critique de nos jours a représenté avec cette verve pittoresque qu’on lui connaît les derniers disciples de Ronsard groupés ou plutôt rangés en bataille autour de la gigantesque édition de Mlle de Gournay. Ce fut aussi autour d’un Ronsard que Malherbe convoquait ses élèves ; mais ce Ronsard, il en avait effacé la moitié, et comme on lui demandait s’il approuvait ce qu’il n’avait pas effacé : « Pas plus que le reste, répondait-il. — On pourrait le croire après votre mort, dit Colomby. — C’est vrai ! » dit Malherbe, et tout fut effacé. Pauvre Ronsard ! il ne lui manquait plus que d’aller tomber des mains de Malherbe dans celles de Boileau. Aujourd’hui que la nationalité de notre langue est sauvée, remer-