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ON NE BADINE PAS AVEC L’AMOUR.

est petit, comment faire ? et dans tous les cas une langue de carpe ne peut se partager, et une carpe ne peut avoir deux langues. Item, tous deux sont bavards ; mais à la rigueur ils peuvent parler ensemble sans s’écouter ni l’un ni l’autre. Déjà maître Bridaine a voulu adresser au jeune Perdican plusieurs questions pédantes, et le gouverneur a froncé le sourcil. Il lui est désagréable qu’un autre que lui semble mettre son élève à l’épreuve. Item, ils sont aussi ignorans l’un que l’autre ; item, ils sont prêtres tous deux ; l’un se targuera de sa cure, l’autre se rengorgera dans sa charge de gouverneur. Maître Blazius confesse le fils, et maître Bridaine le père. Déjà, je les vois accoudés sur la table, les joues enflammées, les yeux à fleur de tête, secouer pleins de haine leurs triples mentons. Ils se regardent de la tête aux pieds, ils préludent par de légères escarmouches ; bientôt la guerre se déclare ; les cuistreries de toute espèce se croisent et s’échangent ; et, pour comble de malheur, entre les deux ivrognes s’agite dame Pluche, qui les repousse l’un et l’autre de ses coudes affilés. Maintenant que voilà le dîner fini, on ouvre la grille du château. C’est la compagnie qui sort ; retirons-nous à l’écart.

(Ils sortent.)


Entrent le baron et dame Pluche.
LE BARON.

Vénérable Pluche, je suis peiné.

DAME PLUCHE.

Est-il possible, monseigneur ?

LE BARON.

Oui, Pluche, cela est possible. J’avais compté depuis long-temps, — j’avais même écrit, noté, — sur mes tablettes de poche, — que ce jour devait être le plus agréable de mes jours, — oui, bonne dame, le plus agréable. — Vous n’ignorez pas que mon dessein était de marier mon fils avec ma nièce ; — cela était résolu, — convenu, — j’en avais parlé à Bridaine, — et je vois, je crois voir, que ces enfans se parlent froidement ; — ils ne se sont pas dit un mot.

DAME PLUCHE.

Les voilà qui viennent, monseigneur. Sont-ils prévenus de vos projets ?

LE BARON.

Je leur en ai touché quelques mots en particulier. Je crois qu’il serait bon, puisque les voilà réunis, de nous asseoir sous cet ombrage propice, et de les laisser ensemble un instant.

(Il se retire avec dame Pluche.)


Entrent Camille et Perdican.