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bliothécaire, lorsque un bourgeois de Londres, d’une part, venait acheter à Tucker un couplet de fête pour sa femme, et que, d’une autre, Pope ou Goldsmith venaient demander raison au même personnage des vers qui leur étaient attribués par lui ! Un jour Swift se présenta chez Tucker, comme un fermier de campagne qui n’aurait pas été fâché de faire insérer dans le journal de la province une chanson ou un logogriphe avec sa signature. Voilà Tucker qui lui fait voir tout son magasin, qui lui développe toutes ses richesses, qui indique à ce bon fermier toutes les ruses du métier : comment il fait servir deux fois la même pièce en la rhabillant de quelques rimes, et comment il est très sûr que ses vers sont excellens, puisqu’il les compose d’un hémistiche emprunté à Pope et d’un autre emprunté à Swift. Le docteur joue bien son rôle ; et le lendemain il amène Pope, plus vaniteux, plus colère, plus impatient, et qui bouleverse la boutique du faussaire, en s’écriant : Je suis Pope !

§. xxii.
Psalmanazar, Chatterton, Pseudo-Milton et Pseudo-Shakspeare.


Un des plus assidus visiteurs de Tucker était Psalmanazar. Ce nom vous étonne. Son nom est moins bizarre que sa vie, telle qu’il l’a donnée lui-même et telle que je l’extrairai de ses confessions.

Psalmanazar appartient à cette série d’originaux dont la manie a été de se constituer faussaires en littérature. L’un inventa une vieille pièce qu’il attribua à Shakspeare et dont il fit cadeau à un libraire ; l’autre, pour ternir la réputation de Milton, inventa une fable ridicule ; le malheureux Chatterton prit le costume et le langage d’un moine du xiie siècle ; sa mascarade n’ayant pas réussi, il se suicida. Mais vous avez entendu parler de tous ces excentriques ; en voici un qui a fait du bruit à Londres dans son temps et que vous ne connaissez pas. Laissons-le parler :

Psalmanazar.

« Ma famille était ancienne, mais déchue. Je n’avais que cinq ans lorsque mon père fut obligé de s’éloigner et d’aller vivre à près de deux cents lieues de son domicile. Ma mère, malgré l’abandon de son mari et son peu de fortune, n’ayant que moi pour fils, m’envoya à une école du voisinage.