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LES ADVERSAIRES DE M. DE LA MENNAIS.

trage des autels ; il a crié contre la philosophie ; c’était le droit du sacerdoce et du malheur. Les vieux rois revenus, il a voulu radouber l’arche sainte ; mais, s’apercevant de l’indifférence du siècle pour ses pieux efforts, il a tonné contre cette indifférence, et le siècle a tressailli ; arraché de sa torpeur par la voix du génie, le siècle désormais a contemplé, il a écouté. Alors M. de La Mennais résolut d’appuyer le christianisme sur le double étai de la tradition humaine et de la théocratie catholique. Le tonnerre de juillet le surprit au milieu de ce travail, et les éclairs qui jaillirent du Sinaï populaire l’illuminèrent ardemment. Prêtre dévoué, il voulut confondre le christianisme avec la liberté, et il appela à bénir son œuvre le vieillard séculaire qui siège au Vatican ; mais l’impuissante idole demeura sans yeux et sans oreilles, et la parole de M. de La Mennais ne fut pas une langue de feu pour le successeur des apôtres. Abandonné par la théocratie, M. de La Mennais se retourna vers la tradition du genre humain, il en reconnut alors l’identité avec la pensée même ; et il prépare aujourd’hui de cette identité une démonstration complète. Sa propre spéculation, les bruits d’idées qui circulent en Europe, des entretiens avec Schelling à Munich, l’appréciation des efforts des jeunes travailleurs du siècle, tout a conquis M. de La Mennais à l’idéalisme, à la philosophie, à l’humanité. Voilà pourquoi nous avons salué ce prêtre d’un cri d’allégresse, de reconnaissance et de triomphe ; voilà pourquoi il s’est élevé pour lui dans les cœurs des jeunes générations tant de vénération et d’amour. Voilà pourquoi aussi vous l’avez abandonné, jeunes lévites ; vous n’avez pu le suivre dans ses métamorphoses fulminantes, dans ses ascensions ; vous avez été mis hors d’haleine par cette course haletante du génie, et vous êtes restés dans la plaine. Nous souhaitons vivement à M. Henri Lacordaire qu’il ne sente pas un jour de trop cuisans regrets d’avoir quitté son maître et d’avoir manqué tant de gloire ; nous désirons aussi que son talent survive dans son éclat à l’abjuration qu’il vient de faire de son indépendance et de sa liberté.

Sous la restauration, Strasbourg fut témoin d’un changement d’état extraordinaire. Un jeune philosophe dont la parole et le professorat avaient remué tous ceux appelés à l’entendre, embrassa la prêtrise. M. Bautain, après avoir traversé les stériles régions de la