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UN SPECTACLE DANS UN FAUTEUIL.

sur une terre réelle et présente. Elle n’est divine que si elle est d’abord humaine ; et ses soudaines transfigurations ne nous ravissent que parce que, avant de la voir rayonner dans le nuage, nous touchions sur la montagne son manteau pareil au nôtre.


Le roman a conquis, depuis la révolution dernière, une célébrité devant laquelle les réputations nouvelles et présomptueuses se sont effacées. La réalité entière semble désormais être tombée en la possession de ce tout-puissant génie, et se prêter, sous son commandement, aux fantaisies les plus passionnées et aux rêves les plus brûlans. Ce beau talent d’invention tout à coup révélé et monté au suprême degré de l’estime publique a fait pâlir le faux soleil, déjà couchant, de l’art égoïste, et a magnifiquement rouvert une ère de poésie complète et vraie.

Avant, nos grammairiens n’avaient hasardé que des inventions indécises, sur lesquelles ils déployaient l’étoffe riche et diversement brodée de leur langue, mais où l’apparence faisait trop oublier le sens, où le système gênait trop l’inspiration, où la manière étouffait trop le caractère. Pourtant au milieu d’eux, et quasi à leur école, se trouvait un jeune homme, dont le profil paraissait dérobé à une muse grecque, et qui avait la réputation de tailler à sa pensée des vêtemens copiés et variés à l’infini. Ce don souple du pastiche, loin de trahir l’insuffisance, accusait au contraire un foyer intérieur de poésie élevée et libre, qui se possédait déjà et se versait volontairement dans toutes les formes. Aussi, quand parurent les Contes d’Espagne et d’Italie, la critique, qui n’avait pas encore nettement proclamé la victoire romantique, ne se laissa point distraire, par les scandaleuses nouveautés de la forme, des perspectives de poésie réelle qu’elle y entrevoyait. Et il est singulier au moins que cette jeune renommée, qui ne sembla d’abord admise que pour l’insurmontable exagération de ses insultes, soit restée presque la seule inattaquée de toutes les gloires de ce temps-là.

C’est que, à travers ses allures dégagées et folles, à travers sa flânerie dédaigneuse et abandonnée ; sous le sans-façon de son élégance, sous les emportemens de sa jeunesse ; au milieu de l’embarras cherché à plaisir de ses hémistiches enjambés, comme dans les linéamens droits et purs qui arrêtent çà et là son dessin et enferment ses caprices ; lorsqu’il imite Mathurin Régnier, lorsqu’il se souvient de Shakspeare, lorsqu’il ressemble à Byron, lorsqu’il prend le feutre empanaché et la cape de la Fronde, lorsqu’il se met de blanches ailes pour aller au ciel, lorsqu’il se brunit la face pour blasphémer solitairement ; s’il déraisonne, s’il aime, s’il se perd, s’il avive ses douleurs, s’il les oublie, s’il les épure ; fan-