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UN SPECTACLE DANS UN FAUTEUIL.

garnison allemande, avec la trahison de ses cardinaux vendus au pape, vendus à Charles-Quint ; avec l’aveuglement de ses patriotes vendus à François Ier, avec sa vénalité parfaite, et quelque peu encore de son antique raideur. Ce drame, c’est tout un pays, tout une époque ; c’est l’Europe et le xvie siècle, vus du palais des Médicis.

Il est admirable qu’on ait pu mêler tant de vérité historique à tant de sens et d’intimité, et mettre cette variété à une unité si forte. Nous oserons désormais citer un drame aux détracteurs de nos jeunes espérances.

Sans effacer la trempe particulière et innée de son talent, M. Alfred de Musset est ainsi arrivé sur la frontière de la démocratie. Il est devenu la satire à la fois et la trompette des vœux du peuple. Si plein de jeunesse et de feu, il ne pouvait marcher long-temps dans sa voie ardente sans toucher au cœur même de la réalité contemporaine, et sans connaître les désirs plébéiens qui nous enflamment. Toutes les tendresses se tiennent. L’amour a mis ce poète des folles ivresses aux pieds de la muse des sympathies plus grandes et des ferventes aspirations ; il a ouvert à sa fantaisie élégante l’intelligence des passions publiques. Ah ! sans doute, dans cette rencontre, le poète aura été frappé encore par quelques rayons dont il nous réserve la lumière et l’harmonie. Puisse-t-il avoir envisagé tout-à-fait la démocratie face à face, et l’avoir vue si imposante dans sa large draperie, qu’il en conserve fidèlement le souvenir ! Il trouverait en elle les abîmes que sa pensée aime à creuser, et l’appui ferme dont tout génie a besoin. La démocratie a étendu son cercle ; elle embrasse aujourd’hui un univers entier d’idées ; elle comprend et réchauffe tous les sentimens de l’âme humaine.

Ainsi la caractérisation de la poésie de M. de Musset est un type de jeune et audacieux amour, semblable, dans sa sphère propre, aux élans du siècle, et s’y joignant toujours plus ouvertement. Pendant que le théâtre de M. Hugo exalte les passions haineuses et réhabilite brutalement les infériorités de la création, il s’est trouvé un artiste qui, au milieu de la négation dure et exaspérée de ces débordemens scéniques, a réalisé des tendances affirmatives et idéales, a modelé des formes adorables, et étendu sur le monde le voile de beauté que Dieu met aux mains de ses enfans privilégiés. Donc, en-dehors des limites de la grammaire qui a absorbé tant de talens, il y a vraiment aujourd’hui une poésie nouvelle, inventive, inspirée, recueillant les échos de notre époque, écoutant les mélodies prophétiques qui s’élèvent du milieu du mal présent. Ceci est une joie grande pour nous.


Et si, après avoir tiré du génie de M. de Musset des conclusions pour