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REVUE DES DEUX MONDES.

PERDICAN.

Sais-tu ce que c’est que l’amour, Rosette ? Écoute ! Le vent se tait ; la pluie du matin roule en perles sur les feuilles séchées que le soleil ranime. Par la lumière du ciel, par le soleil que voilà, je t’aime. Tu veux bien de moi, n’est-ce pas ? On n’a pas flétri ta jeunesse ? on n’a pas infiltré dans ton sang vermeil les restes d’un sang affadi ? Tu ne veux pas te faire religieuse ; te voilà jeune et belle dans les bras d’un jeune homme ; ô Rosette, Rosette, sais-tu ce que c’est que l’amour ?

ROSETTE.

Hélas ! monsieur le docteur, je vous aimerai comme je pourrai.

PERDICAN.

Oui, comme tu pourras ; et tu m’aimeras mieux, tout docteur que je suis, et toute paysanne que tu es, que ces pâles statues fabriquées par les nonnes, qui ont la tête à la place du cœur, et qui sortent des cloîtres pour venir répandre dans la vie l’atmosphère humide de leurs cellules ; tu ne sais rien ; tu ne lirais pas dans un livre la prière que la mère t’apprend, comme elle l’a apprise de sa mère ; tu ne comprends même pas le sens des paroles que tu répètes, quand tu t’agenouilles au pied de ton lit ; mais tu comprends bien que tu pries, et c’est tout ce qu’il faut à Dieu.

ROSETTE.

Comme vous me parlez, monseigneur !

PERDICAN.

Tu ne sais pas lire ; mais tu sais ce que disent ces bois et ces prairies, ces tièdes rivières, ces beaux champs couverts de moissons, toute cette nature splendide de jeunesse. Tu reconnais tous ces milliers de frères, et moi pour l’un d’entr’eux ; lève-toi ; tu seras ma femme, et nous prendrons racine ensemble dans la sève du monde tout-puissant.

(Il sort avec Rosette.)


Scène iv.


Entre le CHOEUR.

Il se passe assurément quelque chose d’étrange au château ; Camille a refusé d’épouser Perdican ; elle doit retourner aujourd’hui au couvent dont elle est venue. Mais je crois que le seigneur son cousin s’est consolé avec Rosette. Hélas ! la pauvre fille ne sait pas quel danger elle court, en écoutant les discours d’un jeune et galant seigneur.