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ON NE BADINE PAS AVEC L’AMOUR.

geant quelquefois de langage ? Il y en a qui disent que non. Sans doute, il nous faut souvent jouer un rôle, souvent mentir ; vous voyez que je suis franche ; mais êtes-vous sûr que tout mente dans une femme, lorsque sa langue ment ? Avez-vous bien réfléchi à la nature de cet être faible et violent, à la rigueur avec laquelle on le juge, aux principes qu’on lui impose ? Et qui sait si, forcée à tromper par le monde, la tête de ce petit être sans cervelle ne peut pas y prendre plaisir, et mentir quelquefois par passe-temps, par folie, comme elle ment par nécessité ?

PERDICAN.

Je n’entends rien à tout cela, et je ne mens jamais. Je t’aime, Camille, voilà tout ce que je sais.

CAMILLE.

Vous dites que vous m’aimez, et vous ne mentez jamais.

PERDICAN.

Jamais.

CAMILLE.

En voilà une qui dit pourtant que cela vous arrive quelquefois.

(Elle lève la tapisserie. Rosette paraît dans le fond, évanouie sur une chaise.)

Que répondrez-vous à cette enfant, Perdican, lorsqu’elle vous demandera compte de vos paroles ? Si vous ne mentez jamais, d’où vient donc qu’elle s’est évanouie en vous entendant me dire que vous m’aimez ? Je vous laisse avec elle ; tâchez de la faire revenir. (Elle veut sortir.)

PERDICAN.

Un instant, Camille, écoute-moi !

CAMILLE.

Que voulez-vous me dire ? c’est à Rosette qu’il faut parler. Je ne vous aime pas, moi ; je n’ai pas été chercher par dépit cette malheureuse enfant au fond de sa chaumière, pour en faire un appât, un jouet ; je n’ai pas répété imprudemment devant elle des paroles brûlantes adressées à une autre ; je n’ai pas feint de jeter au vent pour elle le souvenir d’une amitié chérie ; je ne lui ai pas mis ma chaîne au cou ; je ne lui ai pas dit que je l’épouserais.

PERDICAN.

Écoute-moi, écoute-moi.

CAMILLE.

N’as-tu pas souri tout-à-l’heure, quand je t’ai dit que je n’avais pu aller à la fontaine ? Eh bien ! oui, j’y étais, et j’ai tout entendu ; mais, Dieu m’en est témoin, je ne voudrais pas y avoir parlé comme toi. Que feras-tu de cette fille-là, maintenant, quand elle viendra avec tes baisers ardens