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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

l’égal des plus belles statues antiques. Sa fille Ophelia, jeune personne qu’il a fort bien élevée, qui sait par cœur Shakspeare et lit toutes choses, brûle aussi d’un beau feu pour l’art, et passant à l’application, elle est devenue amoureuse du mannequin Robin-Hood, qu’elle appelle son Adonis ou son Hamlet, ad libitum. Le grave sénateur est tout fier de cette passion. Tout cela, comme on voit, est bien gai et surtout bien naturel. Quand les trois amis sont réunis, ils se contredisent sur leurs manies respectives, ce qui doit bien les ennuyer, car cela fait naître des discussions et dissertations interminables sur la science, la nature et l’art. En général, hommes ou femmes, dans cette nouvelle, n’agissent que dans la seule fin de s’asseoir pour disserter à leur aise. Pendant cette première ou seconde dissertation, un orage éclate, une étoile filante tombe du côté des montagnes ; nouvelle dissertation sur les forces et les influences célestes et telluriques. Le sénateur, de retour chez lui, trouve que son Robin-Hood a disparu du champ de pois dans lequel il l’avait placé. Aucun étranger n’a été vu dans les environs, mais le sénateur Ambrosius n’en croit pas moins que son chef-d’œuvre a été volé pour le Musée britannique où il figurera à côté des marbres de Phidias. Après quoi lui et sa fille en tombent malades à mourir. Une autre scène s’ouvre à Ensisheim, ville voisine. Un étranger y arrive sous le nom de Ledebrinna, s’y donne pour un homme de distinction, tourne les cervelles des bourgeois et des nobles imbécilles, sépare deux amans, fonde une académie de sots et y produit un dérangement complet. De son côté, le bourgmestre Heinzemann, qui continue ses recherches secrètes, parvient à découvrir et faire captif un jeune elfe, qui se transforme aussitôt en jockey obéissant.

C’était là que M. Tieck en voulait venir ; tout le reste n’était qu’avant-scène, précautions oratoires pour se faire suivre dans le monde enchanté ; il n’en fallait en vérité pas autant : qu’importe le hohby-horse d’un homme, pourvu qu’il s’en serve bien ? Or, M. Tieck chevauche toujours très-bien sur le sien. Heinzemann, avide de connaître le monde invisible, fait subir de longs interrogatoires à son nouveau serviteur ; cela tourne bien quelquefois encore à la dissertation, mais celle-là, du moins, est souvent très gracieuse et parfois poétique. Ces révélations du monde des elfes et des fées sont la partie agréable du livre. Heinzemann, qui veut rendre service à son ami Ambrosius, demande à son elfe de le servir dans les recherches qu’il a entreprises pour découvrir son mannequin ; en attendant la réussite, il emmène Ambrosius à Ensisheim pour le distraire. Ô merveille ! Ambrosius, présenté dans une soirée, y reconnaît, dans la personne vivante du conseiller Ledebrinna, son chef-d’œuvre tant regretté ; il l’accable de caresses tout comme un fils chéri ; celui ci