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cou, transportée de joie et d’orgueil en voyant le succès de son entreprise. Ah ça ! mon bon monsieur André, votre père donnera-t-il son consentement ?

André pâlit et recula d’épouvante au seul nom de son père. Il resta silencieux et attéré jusqu’à ce qu’Henriette renouvelât sa question ; alors il répondit non d’un air sombre, et ils se regardèrent tous deux avec consternation, ne trouvant plus un mot à dire pour se rassurer mutuellement.

Enfin Henriette, ayant réfléchi, lui demanda quel âge il avait.

— Vingt-deux ans, répondit-il. — Eh bien ! vous êtes majeur ; vous pouvez vous passer de son consentement.

— Vous avez raison, dit-il, enchanté de cet expédient ; je m’en passerai ; j’épouserai Geneviève sans qu’il le sache.

— Oh ! dit Henriette en secouant la tête, il faut pourtant bien qu’il vous donne le moyen de payer vos habits de noces… Mais, j’y pense, n’avez-vous pas l’héritage de votre mère ?

— Sans doute, répondit-il, frappé d’admiration : j’ai droit à soixante mille francs.

— Diable ! s’écria Henriette, c’est une fortune. Oh ! ma bonne Geneviève ! oh ! mon cher André ! comme vous allez être heureux ! et comme je serai contente d’avoir arrangé votre mariage !

— Excellente fille ! s’écria André à son tour, sans vous, je ne me serais jamais avisé de tout cela, et je n’aurais jamais osé espérer un pareil sort. Mais êtes-vous sûre que Geneviève ne refusera pas ?

— Que vous êtes fou ! Est-ce possible ? quand elle est malade de chagrin ! Ah ! cette nouvelle-là va lui rendre la vie !

— Je crois rêver, dit André en baisant les mains d’Henriette : oh ! je ne pouvais pas me le persuader ; j’aurais trop craint de me tromper ; et pourtant elle m’écoutait avec tant de bonté ! elle prenait ses leçons avec tant d’ardeur ! Geneviève, que ton silence et le calme de tes grands yeux m’ont donné de craintes et d’espérances ! Fou et malheureux que j’étais ! je n’osais pas me jeter à ses pieds et lui demander son cœur : le croiriez-vous, Henriette ? depuis un an je meurs d’amour pour elle, et je ne savais pas encore si j’étais aimé ! C’est vous qui me l’apprenez, bonne Henriette ! Ah ! dites-le-moi, dites-le-moi encore !