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à travers le même prisme ; les amateurs passionnés de telle ou telle peinture formaient des centres à part qui n’agissaient en rien sur la manière de voir des artistes de profession. Après cette époque, et la retraite du maître, et la mort ou l’affaiblissement de ses principaux élèves, est venu le grand mouvement des études historiques. Pour la première fois peut-être, les œuvres de l’art ont été jugées, non suivant une théorie absolue, mais eu égard aux temps, aux lieux et aux influences de toute espèce. L’éclectisme a d’abord envahi la critique ; puis il a gagné les artistes eux-mêmes, et le temps de la réforme (je dis la réforme dans le sens historique et religieux) est venu.

Remarquez qu’à cette époque, et bien avant qu’il ne fût question de la puissance de la critique, les écoles un peu compactes qui subsistaient encore, s’étaient déjà fondues d’elles-mêmes ; sous l’influence de Géricault, le romantisme avait pris pied dans l’atelier de Guérin, le pur et timide classique. Quand la jeune armée, conduite par les Delacroix, les Scheffer, les Sigalon, les Champmartin, donna pour la première fois au salon, la plume spirituelle qui secondait le mouvement d’attaque dans les colonnes du Constitutionnel n’était encore que la plume d’un secrétaire écrivant sous la dictée des artistes rénovateurs, colorant leurs idées, mais n’en produisant aucune de son chef. Après la déroute de l’atelier de Guérin, celui de M. Gros fit encore quelque temps bonne résistance, et se vengea du salon en couvrant des couronnes académiques les jeunes peintres fidèles aux saines doctrines ; mais la désunion se glissa là comme ailleurs, et M. Gros ferma son atelier dans un accès de douleur et de découragement. Je ne parle pas de la tentative malheureuse que fit M. Hersent pour se donner de bons élèves au lieu de produire de bons tableaux, ni de l’atelier de M. Lethière, lequel vécut petitement à côté des ateliers plus nombreux jusqu’à la mort du professeur, atelier, du reste, auquel le succès de M. Bouchot vient de donner une illustration tardive ; car il n’est ici question que de ceux qui ont joué un rôle puissant et étendu dans l’école. Ce qui est incontestable, c’est qu’avant que la critique ne fût devenue une espèce de puissance, il n’y avait plus de religion, de symbole commun dans les arts, et cela par des causes auxquelles la critique n’a que faire.