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DE L’ÉCOLE FRANÇAISE.

individus n’y a jamais produit que de fâcheux effets. La France, qui a possédé tant de grands sculpteurs au xvie siècle, n’a compté alors que des peintres du second ordre. D’où vient cela ? C’est que toute la pratique ne procédait que d’un ou deux maîtres italiens, qui eux-mêmes n’avaient reçu que de seconde main les saines doctrines de la peinture. L’école italienne étouffait ce que la France pouvait renfermer de talens originaux. Vouet, formé sur l’exemple du Guide, était lui-même un homme plus indépendant ; aussi le siècle de Louis xiv dut-il à Vouet ce que le siècle des Valois n’avait point possédé, d’habiles praticiens. Mais quel serait aujourd’hui le rang de notre ancienne école, si Poussin et Claude ne se fussent formés seuls, si Lesueur n’eût pas renié dans ses derniers tableaux la manière de Vouet, son maître ? Après cette époque, les écoles continuent en France une persévérante tyrannie de la médiocrité fastueuse. À un Lebrun succède un Coypel, à un Coypel un Lemoine, à un Lemoine un Vanloo, à un Vanloo un Boucher. Vien lui-même, à qui l’on a prêté tellement à crédit de si belles intentions, Vien ne représente au fond qu’une réaction du style Vanloo contre le style Boucher. Pendant toute cette succession de calamités officielles, qui nous empêche de tomber au dernier rang des peuples pratiquant la peinture ? Un Subleyras, un Largollière, un Wateau, un Latour, un Joseph Vernet, un Greuze, tous gens qui n’ont que faire avec les écoles dominatrices. En dehors même de l’école de David, beaucoup plus digne de commander que toutes les précédentes écoles, il surgissait des hommes indépendans, et dont les ouvrages résisteront mieux peut-être à l’effet du temps que ceux des meilleurs élèves de David ; témoin Prudhon, témoins même MM. Ingres et Granet, qui n’ont d’élèves de David que le nom. Ce n’était pas du moins de cette façon qu’un Titien ou un Giorgion procédait de Jean Bellin, un Daniel de Volterre de Michel-Ange, un Jules Romain de Raphaël, un Guide et un Dominiquin d’Annibal Carrache.

En France, disons-le franchement, l’air est mauvais pour la peinture. Les convenances sociales sont à peu près toutes nées dans notre pays, et des convenances sociales il n’y a qu’un pas aux conventions de l’art. Le Français est rarement peintre par instinct il l’est presque toujours par raisonnement et par philosophie.